Sunday 8 December 2013

Nelson Mandela n’est pas Ivoirien

Par Anicet Djéhoury (Cet article à 2 ans il a été  écrit le 01 juillet 2011)

Une décennie maintenant que dure le cauchemar ivoirien, presqu’une éternité. Les élections d’octobre 2010 qui auraient dû arrêter la descente aux enfers du pays, l’ont précipité dans le chaos.

Arrivé au pouvoir dans des conditions désastreuses, le nouveau chef d’Etat ivoirien, Alassane Ouattara promet à ses compatriotes la mise en place d’un processus de réconciliation nationale calqué sur le modèle sud-africain. Et pour de nombreux Ivoiriens, le rêve de voir, enfin réalisé, le pays et ses leaders s’inspirer de la réussite de la nation arc-en-ciel.

Dix-sept ans auparavant en effet, parvenu au pouvoir après un quart de siècle passé dans les geôles de l’apartheid, Nelson Mandela décide « de combler le fossé qui sépare les Sud-africains ». Sa première décision est d’amnistier les différentes catégories de ses compatriotes qui accomplissent des peines d’emprisonnement.


Il désigne plus tard un homme de dieu, l’archevêque du Cap et prix Nobel de la paix, Mgr Desmond Tutu pour diriger la commission vérité et réconciliation qui fera date en Afrique. Dans l’esprit de Mandela, il s’agit de confronter le passé afin de tourner la page historique et douloureuse du pays. D’exposer la vérité, de permettre aux coupables, de tous bords, de se confesser en échange d’une amnistie pleine et entière. Les poursuites judiciaires n’étant maintenues qu’en l’absence de confession ou de refus de comparution.

Les Sud-africains ont fait un constat simple et juste. Sans pardon, il n’y a pas d’avenir. Et sans confession, il ne peut y avoir de pardon.

En Côte d’Ivoire, les discours tardent malheureusement à trouver leur prolongement dans des actes concrets.

Et si des milliers de prisonniers ont été libérés, ce n’est pas par la grâce d’une loi d’amnistie, mais pour guerroyer aux côtés de « libérateurs » pas si désintéressés. Désormais revêtus de l’uniforme de l’armée dite républicaine, les ex-détenus pillent tout sur leur passage et sèment la désolation dans les rues de la capitale économique.

Pendant ce temps, vidée des criminels et autres braqueurs, la maison d’arrêt civile d’Abidjan s’apprête à recevoir ses nouveaux pensionnaires ; des professeurs d’université, des économistes, des intellectuels et des journalistes. Leur seul tort, avoir participé ou soutenu le dernier gouvernement Gbagbo.

Pas d’amnistie donc, Nelson Mandela n’est pas Ivoirien. Le président Laurent Gbagbo, son épouse, son fils sont faits prisonniers et déportés en territoire hostile. Une centaine de ses partisans, parmi lesquels Pascal Affi N’guessan, président du Fpi, le premier parti ivoirien, 38,3% lors du 1er tour des présidentielles, sont détenus dans le nord du pays sans aucun mandat judiciaire.

Pas de prix Nobel de la paix non plus, Desmond Tutu n’est pas Ivoirien. Alors pour présider la commission vérité et réconciliation version ivoirienne, le choix se porte sur Charles Konan Banny. Ses qualités et sa compétence ne sont nullement en cause. Cependant, membre du Rhdp, la coalition qui soutient l’actuel chef de l’Etat, l’ancrage politique de l’ancien gouverneur de la banque centrale ouest africaine est une preuve supplémentaire d’un processus de réconciliation nationale biaisé dès le départ.

Pas de véritable réconciliation nationale enfin. Pretoria n’est pas Duékoué. La crise ivoirienne, ce sont des millions de déplacés, des dizaines de milliers de morts, de nombreux crimes de guerre, des crimes contre l’humanité. Mais apparemment, si l’on croit le nouveau ministre de la Justice, un seul camp responsable, celui de Laurent Gbagbo.

A Duékoué pourtant, Amnesty International raconte que les forces fidèles à Alassane Ouattara ont ordonné « aux hommes et aux jeunes de s’aligner et leur ont demandé de décliner leurs prénoms et noms et de présenter leurs cartes d’identité… » La suite, on la connaît. Ils ont été massacrés. Plusieurs centaines de morts, coupables d’appartenir à l’ethnie guéré. Une ethnie réputée favorable à Laurent Gbagbo.

Aucun responsable de ce massacre n’est à ce jour arrêté. Dans cette ville située à plus de 500 kms d’Abidjan, ce sont les victimes qui baissent la tête lorsqu’elles croisent le regard de leurs bourreaux. Pensent-elles réconciliation nationale ou désir de vengeance?


Nelson Mandela n’est pas Ivoirien, c’est une évidence. Ce n’est pas une raison pour la Côte d’Ivoire de laisser s’échapper, jour après jour, l’espoir d’une véritable réconciliation nationale.

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