Par le Nouveau
Courrier
Nom de code : PLUSD. L’association Wikileaks dirigée par Julian Assange, et qui s’est spécialisée
dans la mise à la disposition du public de câbles diplomatiques classés
confidentiels et/ou secret défense, a encore frappé.
Hier, elle a mis en
ligne des informations de la diplomatie américaine. Qui permet d’avoir accès à
1,7 millions de documents secrets qui, pour certains, éclairent l’histoire
récente d’un jour nouveau. Certains d’entre eux avaient déjà été « balancés »
en 2010, mais étaient perdus dans le cafouillage incroyable créé par la
profusion des données.
Cette fois-ci,
grâce à un efficace moteur de recherches, l’accessibilité est améliorée et des
documents intéressants surgissent. Sur la crise ivoirienne en particulier, un
certain nombre de câbles diplomatiques se révèlent très intéressants à lire.
En
2001, les ingérences de Charles Taylor en Côte d’Ivoire inquiétaient déjà
Gbagbo et le Nigeria
Dans un câble daté
du 28 août 2001, l’ambassadeur américain au Nigeria Howard F. Jeter faisait
état, entre autres sujets, des inquiétudes d’un de ses principaux
interlocuteurs, le «lieutenant général » Aliyu Mohammed Gusau, qui était alors
un des patrons des services de renseignement du pays alors dirigé par Olusegun
Obasanjo.
Selon Aliyu
Mohammed, une des préoccupations de son pays concernant le leader libérien
Charles Taylor était son «immixtion» en Côte d’Ivoire. «L’ambassadeur Jeter,
après avoir noté que Taylor est un manipulateur, a demandé à Mohammed comment
le Nigeria entendait émousser les efforts de Taylor et du général Guei»,
indique le câble.
A la suite de cette
interrogation, l’officiel nigérian a indiqué au diplomate américain que son
pays était en contact avec Gbagbo à ce sujet, à qui il avait demandé d’en
parler aux Français – des Français qui avaient, selon le câble, de la
«sympathie» pour Taylor.
L’officiel nigérian
avait également confié au diplomate américain son désir de voir Alpha Oumar
Konaré, alors président du Mali et de la CEDEAO, mettre clairement en garde le
numéro un libérien d’alors. L’avenir montrera que la France et Konaré ne
décourageront pas Taylor, mais iront jusqu’à le «protéger» en faisant semblant
de ne pas voir sa main derrière
le MPIGO et le MJP, métastases de la rébellion du MPCI à la frontière
libérienne. Pire : Charles Taylor sera un des invités d’honneur à la conférence
de Paris Kléber destinée à faire entériner le «déshabillage» de Gbagbo après
les accords de Linas-Marcoussis.
Robert
Guéi et Djibril Bassolé, «cerveaux » de la rébellion du 19 septembre 2002 ?
Un câble
diplomatique daté du 10 octobre 2002 raconte une conversation entre
l’ambassadeur américain au Nigeria Howard F. Jeter et un ancien ministre des
Affaires étrangères nigérian, Baba Gana Kingibe. Devenu consultant par la
suite, Kingibe ne cachait pas avoir travaillé pour le gouvernement ivoirien, et
avoir eu des relations avec l’ex-ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou,
grâce à une relation commune, un homme d’affaires désigné par le prénom
«François». Il pourrait bien s’agir du golden boy François Bakou.
Bien informé,
Kingibe a alimenté le diplomate américain en informations «qui ne sont pas
contradictoires avec ce que nous savons des événements d’avant la tentative du
coup d’Etat». L’ancien officiel nigérian a en tout cas expliqué que Robert Guéi
et Djibril Bassolé, alors ministre de l’Intérieur burkinabé, s’étaient
rencontrés à Ouagadougou pour mettre en place un plan visant à renverser le
président Gbagbo. Mais un ancien subordonné de Guei (on reconnait assez
facilement Balla Kéita) avait fait savoir qu’il ne voulait pas participer au
complot.
Pour cette raison,
il a été «rapidement éliminé». Mais avant sa mort, Gbagbo est mis au courant de
ce qui se tramait contre lui. Du coup, il envoie son ministre de l’Intérieur
Emile Boga Doudou discuter les yeux dans les yeux à Paris avec son homologue…
Djibril Bassolé ! La réunion se passe bien. Et Boga rentre à Abidjan le 18
septembre pour être au pays alors que Gbagbo s’en va à Rome.
Quand il se rend
compte dans la nuit du 18 au 19 qu’un coup d’Etat se déroule et qu’il est
directement ciblé, il saute sa clôture et va chercher refuge chez un expatrié
français. C’est de chez cet expatrié qu’il appelle «François» où il raconte sa
mort en direct : «François, ils entrent. Ils m’abattent !» Lors de sa
conversation avec le diplomate américain, Kingibe évoque ce qu’il considère
comme la stratégie internationale de Compaoré – son analyse s’avèrera juste.
Selon lui, la
tentative de réhabilitation de Compaoré, qui est passée par une rupture
apparente avec Taylor, est un «subterfuge». De son point de vue, le Compaoré de
2002 n’est pas fatigué des «pitreries» de Taylor, mais est fatigué de jouer les
seconds rôles et est prêt lui-même à s’engager dans des entreprises de
déstabilisation dont il est le maître d’oeuvre. «Si c’est vrai, cela signifie
qu’il représentera un aussi grand danger pour la stabilité sous-régionale que
son ancien ami de Monrovia», note le câble.
Ibn
Chambas et Nana Akufo-Addo, deux anti-Gbagbo notoires
Les câbles de
Wikileaks nous permettent de cerner les positionnements réels des différents
acteurs diplomatiques qui ont «travaillé» sur la crise ivoirienne. Par exemple,
derrière ses sourires de premier communiant, le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas,
alors secrétaire exécutif de la CEDEAO, a contribué à «noircir» au maximum
l’image de Gbagbo.
Dans un câble daté
du 11 octobre 2002, l’ambassadeur des Etats-Unis au Nigeria, Howard F. Jeter,
raconte une conversation avec Ibn Chambas. Au cours de laquelle il explique que
l’obstacle à un cessez-le feu rapide entre le gouvernement ivoirien et les
rebelles, c’est… Gbagbo ! Les rebelles, selon Ibn Chambas, sont «disciplinés et relativement flexibles». Ils
nient toute intention de renverser le régime (sic !) Ibn Chambas affirme sans
ciller qu’il n’a vu aucune preuve de l’ingérence des Burkinabé.
Gbagbo, de son
côté, est «têtu» et «réticent», selon le diplomate ghanéen. Le ministre des
Affaires étrangères ghanéen de l’époque, qui sera par la suite deux fois
candidat malheureux à la magistrature suprême dans son pays, a également
beaucoup oeuvré pour «gâter le nom» de Gbagbo.
Un câble daté du 3
juin 2004 permet de se rendre compte qu’il a profité du fait qu’un sommet de la
CEDEAO qui devait se tenir à Abuja, au Nigeria, a finalement été annulé, parce
que Gbagbo avait décidé d’aller à des réunions à New York pour casser violemment
du sucre sur le dos de Gbagbo. «Nous nous demandons si Gbagbo s’amuse avec
nous», lance-t-il lors d’une rencontre avec l’ambassadrice Mary C. Yates.
Lorsqu’elle lui répond en disant que le chef de l’Etat ivoirien avait peut être
pris des rendez-vous au siège de l’ONU, Akufo Addo n’en démord pas.
«Kofi Annan est au
courant de cette rencontre et veut Gbagbo ici [à Abuja]», dit il. Avant
d’expliquer que les accords de Linas-Marcoussis ne doivent absolument pas être
«revus» ou «renégociés», que «Gbagbo doit trouver un arrangement avec Soro,
Bédié ou Ouattara» et qu’il n’y a «pas d’autre option». «Alors que nous
laissons à nos collègues le soin d’expliquer les véritables motifs pour
lesquels Gbagbo a refusé d’assister à la réunion d’Abuja, Akufo-Addo a défendu
une vision pleine d’antipathie sur ce qui lui semble être les explications peu
convaincantes de Gbagbo», peut-on lire dans le câble de l’ambassadrice Mary C.
Yates.
Ce background
permet, avec le recul, d’expliquer les rumeurs selon lesquelles Alassane Ouattara
a financé la campagne d’Akufo Addo lors de la dernière présidentielle. Mais
aussi de comprendre la portée des violentes diatribes de ce dernier s’adressant
à John Dramani Mahama en disant : «Nous ne voulons pas d’un Laurent Gbagbo au
Ghana».
Obasanjo,
Kufuor et la France en Côte d’Ivoire : un rapport compliqué
Au fil des «câbles»
de Wikileaks, l’on se rend compte que si la position «naturelle » des
présidents nigérian et ghanéen de l’époque, Olusegun Obasanjo et John Kufuor,
était plus «équilibrée» que celles de leurs homologues francophones d’Afrique
de l’Ouest, elle était aussi frileuse et influencée par un certain nombre de
lieux communs.
Un câble du 26
septembre 2002 indique déjà le «balancement » du Nigeria. Aliyu Mohammed, un
des patrons du renseignement nigérian, informe les Etats-Unis que le Nigeria a
envoyé des Alphajets à Gbagbo dans le cadre d’un arrangement bilatéral – ce qui
est une forme de soutien – mais s’inquiète du «harcèlement» des partis et des
figures de l’opposition, notamment Ouattara et Bédié.
Obasanjo se plaint
aux Américains de l’initiative française de reprendre les choses en main en
interrompant les discussions de Lomé, et accuse Abdoulaye Wade d’avoir
orchestré l’opération en raison de sa rivalité avec Gnassingbé Eyadéma. «Ils
peuvent organiser le sommet, mais je n’y irai pas, le Nigeria ne sera pas
représenté», indique Obasanjo au téléphone à l’ambassadeur américain. Quand les
accords sont entérinés, il indique qu’il ne les endosse pas «de gaieté de
coeur» et qu’ils «déshabillent Gbagbo», mais que le Nigeria ne peut pas être
«plus saint que le pape». Si les Ivoiriens acceptent Marcoussis, le Nigeria ne
peut que les appuyer, dit-il en substance.
Un câble du 12
novembre 2004 raconte une réunion entre l’ambassadeur des Etats-Unis au Ghana
et le président John Kufuor. Juste après la quasi-guerre ivoirienne qui a
commencé avec le «bombardement » supposé de la base-vie française de Bouaké en
pleine «opération Dignité». Kufuor explique que la «tuerie» des neuf soldats
français est un «prétexte » qui permet à l’Hexagone d’engager des actions pour
protéger «leurs concitoyens» et leur «business». «Mais Kufuor n’avait pas une
posture critique vis-à-vis des Français», indique le câble. A la même occasion,
Kufuor considère que l’analyse – dont on ne sait pas qui la véhicule – selon
laquelle Gbagbo serait devenu président après avoir été qu’un leader
d’opposition de second ordre relève de l’intox. Cela dit, il estime que Gbagbo
doit faire des concessions, cesser d’utiliser le Parlement comme «prétexte »
pour ne pas appliquer les accords d’Accra III. Il finit par faire une
proposition assez surprenante : il suggère que Gbagbo, Ouattara et Bédié, en
raison de leur caractère clivant, soient écartés des élections à venir et
qu’ils cèdent la place à la jeune génération.
Les
Français acharnés contre Gbagbo
Si les câbles que
l’on peut consulter dans le cadre du projet «PLUS D» donnent à voir une
administration américaine quelque peu circonspecte, plus ou moins équilibrée
dans ses jugements, et une diplomatie française violemment anti-Gbagbo. La
palme de la virulence revient à Michel de Bonnecorse, conseiller Afrique de
Jacques Chirac.
Dans l’un des
câbles de Wikileaks, datant du 30 mars 2006, il affirme à un de ses
interlocuteurs américains que «de plus en plus» de dirigeants africains
estiment qu’il n’y aura aucune solution en Côte d’Ivoire tant que Gbagbo
restera au pouvoir. Il demande aux Américains de s’ims’impliquer dans le cadre
du Groupe de travail international (GTI) pour soutenir Charles Konan Banny –
qui apparaît véritablement comme le «chouchou» de la Chiraquie au fil des
câbles. Au point de demander que les Casques bleus de l’ONU prennent le
contrôle militaire de la RTI afin d’empêcher que les «foules» pro-Gbagbo s’en
saisissent pour diffuser leur «propagande» en cas de troubles.
Un câble du 9
décembre 2005 indique que Michel de Bonnecorse veut que la Constitution
ivoirienne soit modifiée... par le Conseil de sécurité de l’ONU. Selon un câble
du 9 février 2006, Michel de Bonnecorse décrit Gbagbo comme un «fasciste», qui
«commande seulement une minorité de la population», qui utilise une «propagande
de rues», des voyous armés et une propagande ciblée.
Nathalie
Delapalme, qui développe pourtant des vues anti-Gbagbo
devant les diplomates américains, a été totalement mise à l’écart par le clan
Chirac, dès lors qu’il est devenu évident qu’elle était «trop confortable avec
Gbagbo et sa coterie», explique un officiel français aux Américains.
Quand la France de
Sarkozy jugeait «ridicule » le désarmement des rebelles
La lecture des
câbles publiés par Wikileaks permet d’entrevoir une certaine prise de distance
passionnelle de Paris sur le dossier ivoirien avec le début du processus de
Ouagadougou et le départ du pouvoir de Jacques Chirac. Mais la profonde
acrimonie de la France envers Gbagbo demeure, sous Nicolas Sarkozy.
Selon un câble daté
du 4 septembre 2009, le conseiller Afrique de Sarkozy, Romain Serman, prétend,
alors qu’une avocate de Gbagbo plaide pour que la France aide à désarmer la
rébellion, qu’il ne s’agit que d’une manière de gagner du temps, et que Gbagbo
a conclu qu’il ne pouvait pas gagner les élections et veut «épuiser» ses rivaux
Bédié et Ouattara.
L’exigence du
désarmement des rebelles, pourtant notifiée depuis les accords de
Linas-Marcoussis, est «ridicule » selon l’administration Sarkozy. Le conseiller
de Sarkozy va jusqu’à prétendre, devant les Américains, que Gbagbo veut
organiser un faux coup d’Etat contre lui – selon des sources libériennes non
clairement nommées, stipule le câble américain. Au final, la Côte d’Ivoire va
aller à la présidentielle de 2010 sans désarmement, selon le voeu des Français.
Et le «traquenard électoral», selon l’expression de Charles Blé Goué, se
refermera sur Gbagbo.
A suivre …
Source: cameroonvoice.com. & Lenouveaucourier.net
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