Par Fulgence Zamblé
Des
agriculteurs du nord de la Côte d'Ivoire affirment que leur survie est menacée
par la décision du gouvernement d'accorder de grandes superficies de terres à
une multinationale. Ne disposant pas d'un droit de propriété, ils ont peur de
perdre l'héritage de leurs ancêtres.
"Les
terres que nous exploitons sont celles léguées par nos parents. Nous pensons
aussi les céder à nos descendants parce qu'aujourd'hui, il est difficile de
trouver de terres arables ailleurs", déclare à IPS, Dokatiené Silué,
paysan originaire de Dikodougou, dans le nord de la Côte d'Ivoire.
Les
chiffres du Centre de promotion des investissements en Côte d'Ivoire (CEPICI)
indiquent que le pays dispose de 24 millions d'hectares de terres cultivables.
Et seulement 9,5 millions d'hectares sont utilisés pour l'agriculture vivrière
et les cultures d'exportation.
"Avec
des terres vierges largement disponibles, nous comprenons difficilement que
l'Etat et ses partenaires se concentrent sur celles que nous exploitons
déjà", dénonce Silué.
Depuis
2007, le gouvernement ivoirien approuve des projets de développement
agro-industriel, notamment pour la culture de l'hévéa (caoutchouc) et du
palmier à huile. Cette année, il a approuvé des projets dans la riziculture
avec l'espoir de quadrupler la production du riz de 100.000 tonnes à 400.000
tonnes dans le nord.
Par
exemple, le 31 janvier, Marguérita Dreyfus, principale actionnaire du groupe de
négoce de matières premières Louis Dreyfus a signé un accord avec le ministre
ivoirien de l'Agriculture pour la mise à disposition de quelque 200.000
hectares de terres cultivables dans le nord du pays. Un investissement de 60
millions de dollars est prévu pour ce projet.
"C'est
une soixantaine de milliers de fermiers ivoiriens et leurs familles qui vont
exploiter leurs terres. Les superficies, qui seront mises en valeur dans le
cadre de ce projet, appartiennent aux fermiers ivoiriens" a déclaré Serge
Schoen, directeur général de 'Louis Dreyfus Comodities'.
Les
trois grandes régions du nord du pays - Korhogo, Boundiali et Ferkéssedougou -
sont concernées par cette cession de terres par l'Etat ivoirien. "Ce
projet permettra de consolider les acquis des petits planteurs à travers des
emplois et des productions garanties", a affirmé, pour sa part, le
ministre ivoirien de l'Agriculture, Sangafowa Coulibaly lors de la signature de
l'accord.
Ces
déclarations ne suffisent pas pour convaincre totalement des fermiers
craintifs. "Le problème est que nous ne disposons pas de titre de
propriété, or bon nombre d'entre nous en ont fait la démarche dans le passé,
sans succès", explique à IPS, Fougnigué Soro, paysan de Niofoin, dans le
département de Boundiali.
Soro
et Silué et trois autres paysans du nord étaient le 9 mars à Abidjan la
capitale économique ivoirienne, pour s'informer auprès des autorités, sur le
sort qui leur est réservé par cet accord. "Il est dit que les terres nous
appartiennent toujours. Mais il faut nous accorder le titre foncier pour nous
rassurer, surtout que la durée du contrat est inconnue", suggère Soro.
Les
autorités les ont rassurés que les terres qui seront exploitées, resteront la
propriété des fermiers et que ces derniers pourraient travailler pour la multinationale.
"Le
problème majeur des fermiers est qu'ils ne sont pas constitués en syndicat pour
défendre leurs intérêts. Ils sont donc vulnérables et soumis aux desiderata de
l'Etat", souligne Timothée N'dabian, un juriste à Abidjan.
N'dabian
estime qu'avant de s'engager dans des contrats avec les multinationales, le
gouvernement ivoirien devrait opérer des réformes foncières pour la
reconnaissance de la légitimité des droits fonciers des populations.
"C'est une assurance qui balise le terrain, surtout que des cas existent
déjà ailleurs".
En
effet, des certificats fonciers ont été accordés par le gouvernement,
début-mars, aux paysans du centre-ouest de la Côte d'Ivoire, afin qu'ils
mettent progressivement à la disposition d'investisseurs, près de 10.000
hectares de terres pour la réalisation d'un projet d'hévéaculture.
"Le
revers de la médaille de la politique des firmes multinationales, c'est que
leur développement participe à la flambée des prix agricoles et à leur
volatilité", affirme Séraphin Yao Prao, économiste chercheur à l'Université
de Bouaké (centre du pays).
"Le
plus souvent, les créations de grands domaines agricoles se font aux dépens des
populations locales dont les droits fonciers sont peu ou pas protégés par les
gouvernements", indique-t-il à IPS.
Selon
la loi foncière ivoirienne, la terre appartient à l'Etat et une société
étrangère ne peut se porter acquéreur de terres, mais elle peut seulement
bénéficier d'un contrat de bail de plusieurs années. Aussi, les terres qui
n'ont pas de propriétaires légaux sont la propriété de l'Etat.
"Cette
loi est incomplète ou mauvaise. Elle est mauvaise parce qu'elle n'a pas pu
distribuer des titres fonciers aux paysans. Elle est incomplète parce qu'elle
interdit aux étrangers d'acheter des terres", estime Yao Prao.
"Les
multinationales expriment quotidiennement un appétit des terres. Il est temps
de réviser la loi foncière pour la protection des fermiers", ajoute
N'dabian.
Source:
IPS & lebanco.net
No comments:
Post a Comment