Par Théophile kouamouo
Il faut, en ce début 2012, une sacrée dose de courage pour souhaiter à ceux que l’on connaît un franc et profond «bonne année», au-delà de la tradition et des habitudes. En effet, tant au point de vue mondial qu’à l’échelle de la Côte d’Ivoire, 2012 apparaît d’ores et déjà comme une année pleine de périls, qui pourrait voir s’approfondir les contradictions qui ont fait de 2011 une année à la fois violente et inquiétante.
Crise européennes et des Premiers ministres «à la Alassane Ouattara»
En 2012, l’environnement économique international, caractérisé par la profonde crise financière que vivent les pays occidentaux – et qui est de nature fondamentalement structurelle et non passagère, selon les économistes les plus sérieux – pourrait se dégrader davantage. La sorte de «peste» qui frappe l’Europe en montant pernicieusement du Sud vers le Nord ne cesse d’accroître son spectre. Après la Grèce et l’Italie qui ont perdu leur souveraineté en 2011 en étant obligées d’accepter des Premiers ministres «à la Alassane Ouattara», imposés par des marchés qui entendent dicter leur loi quitte à prendre en otage la démocratie, la France pourrait bien voir son beau «triple A» remis en cause par les agences de notation financière, qui font désormais la pluie et le beau temps. L’Irlande et le Portugal ne sont pas dans un meilleur état. Dans ce contexte, c’est la question même de la survie à court terme de l’euro qui se pose.
La zone CFA était celle qui, économiquement, était la plus en retard du continent
Devant cette perspective, la problématique de l’éventuelle dévaluation du franc CFA, qui a entraîné l’incarcération abusive de nos confrères de Notre Voie en 2011, apparaît comme une bien petite affaire. Et si, en Afrique francophone subsaharienne, nous nous inquiétions de la pluie qui semble vouloir s’abattre là où c’est bel et bien un tsunami qui pourrait bien fondre sur nous et ébranler toutes nos fausses certitudes ? Alors que, dans sa dernière livraison, Jeune Afrique, s’appuyant sur les avis de plusieurs économistes français non militants, établissait que la zone CFA était celle qui, économiquement, était la plus en retard du continent, et attribuait cette faiblesse à notre connexion absurde à un espace économique n’ayant absolument pas les mêmes problèmes que le nôtre, allons-nous choisir de sombrer avec l’euro, véritable Titanic monétaire… par peur de l’indépendance ?
Réfléchir à la brutalisation des rapports de force internationaux
En 2012, les États africains ne pourront pas faire l’économie d’une véritable réflexion collective sur la soudaine brutalisation des rapports de force internationaux, elle-même directement liée à la décadence qui menace à la fois l’Europe et les Etats-Unis, et qu’ils voudraient conjurer en utilisant la seule franche supériorité qui leur reste : la supériorité militaire. En ce moment, la Syrie est toujours le centre de ce tourbillon géostratégique qui s’apparente de plus en plus à une nouvelle guerre froide qui ne dit pas son nom, cette fois-ci entre la Chine, la Russie et le cortège des «pays émergents» qui bouscule les équilibres, et les traditionnelles puissances occidentales.
Afrique: la captation, par la force, de ses matières premières
En 2011, l’Afrique a subi de plein fouet cette nouvelle donne qui, enrobée dans les beaux mots de «révolution» et de «démocratie», charrie des guerres civiles et des désordres croissants avec pour seul enjeu la captation, par la force, de ses matières premières. En Libye, en Côte d’Ivoire, l’Occident a renversé des leaders qui lui déplaisaient et installé des personnes de son goût en servant à son opinion conquise des «produits moraux» totalement fallacieux. Dans leur entreprise, les pays du Nord, camouflés derrière l’ONU et l’OTAN, ont non seulement détruit une bonne partie de l’infrastructure des pays prétendument libérés, mais ils ont mis en branle des forces supplétives notoirement criminalisées. Les rebelles de Libye et les «FRCI» de Côte d’Ivoire se sont signalées par des incroyables violations des droits de l’Homme, documentées par les organisations spécialisées mais traitées de la façon la plus expéditive par les médias dominants, qui n’ont eu de cesse de les présenter comme des héros – et d’entretenir ainsi leur impunité. En Côte d’Ivoire et en Libye, les guerres orchestrées par les Occidentaux ont ainsi accentué les divisions internes. La persécution de certaines ethnies, ici, des habitants de la région de Syrte et des Noirs, autochtones comme étrangers, là-bas, a dépassé tous les records. Face à une partie grandissante de la population criant « Wa bas Mouammar» («Muammar nous suffit») ou «Gbagbo kafissa» («Gbagbo est mieux»), les pouvoirs installés par les Occidentaux ont répondu par de plus en plus de répression.
En Côte d'Ivoire, l'année de tous les dangers
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, 2012 apparaît ainsi comme une année de tous les dangers. La marginalisation de l’opposition, dont le symbole le plus criard est une Commission électorale totalement aux ordres du régime, dont la crédibilité, déjà ébranlée lors de la présidentielle, s’est totalement effondrée avec la comédie des législatives, continuera-t-elle ? Cet exécutif, dont la surdité a été dès le commencement sanctifiée par l’Occident, pourra-t-il se convertir aux vertus de la négociation ? La double dérive autoritaire et ethniciste du régime Ouattara, dont les FRCI – auxquelles l’actuel «chef suprême des armées» avait ordonné le retour dans les casernes et dans leurs régions d’origine dès sa prise de pouvoir – sont l’illustration parfaite, pourra-t-elle être arrêtée ? N’est-elle pas tout simplement l’irremplaçable béquille d’un RDR de plus en plus esseulé, et qui sait que sans la psychose qui règne actuellement, son déficit de légitimité pourrait bien s’exprimer par des contestations politiques, syndicales et catégorielles croissantes ? L’absence de dialogue social, dont la fermeture injustifiée de l’Université pendant deux longues années est le signe inquiétant, est en tout cas lourde de menaces.
2011 était censée être l’année de l’anéantissement politique définitif de Laurent Gbagbo, et de sa dissociation d’avec le Front populaire ivoirien (FPI), premier parti du pays. En dépit de sa déportation à la Cour pénale internationale de La Haye, des emprisonnements et de la persécution de centaines de personnes ayant osé revendiquer leur attachement à ses idéaux, il reste une figure centrale de l’univers politique ivoirien. A défaut d’être directement présent sur le terrain, il peut toujours faire entendre sa voix, donner des consignes – et se faire obéir.
En 2012, Ouattara et le pouvoir français qui le sponsorise, pourront-ils comprendre qu’aucune réconciliation n’est possible sans la prise en compte du réprouvé de Scheveningen et de l’indicible martyre de ses partisans, nié par certains, justifié en permanence par d’autres ? Cette interrogation ne va pas sans deux questions subsidiaires. En 2012, Nicolas Sarkozy, l’homme qui à défaut de redresser la situation économique de la France voulut endosser le costume d’un Napoléon du XXIème siècle, sera-t-il réélu ? Si non, comment son obligé ivoirien s’en sortira-t-il donc sans les éternels coups de main de l’Elysée ?
2012, année des périls !
Source: www.nouveaucourrier.info
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