Par
Mohamed SYLLA, juriste
Depuis
l'annonce de l'atteinte par la Côte d'Ivoire du point achèvement de
l'initiative PPTE, (Pays pauvres Très Endettés), le constat est que de
nombreuses interrogations se présentent. Beaucoup d’Ivoiriens ne comprennent
pas ce que représente ce programme PPTE et ce qu’il implique concrètement pour
leur pays et pour eux-mêmes.
LE PPTE EST-IL
UNE ANNULATION DE LA DETTE?
Non.
C'est vrai que la communication gouvernementale officielle le laisse penser.
Mais c'est un abus de langage. Selon le FMI, notre "annulation de
dette" porte sur un total de 7,7
milliards de dollars, dont 3,1 milliards pour le PPTE au sens strict du terme
et 1,3 milliards pour les agences multilatérales liées au FMI, à la Banque
Mondiale et à la BAD et enfin 3,3 milliards pour des États créanciers dits du
Club de Paris.
Alors
peut-on penser sérieusement que ces créanciers vont faire cadeaux d'autant
d'argent à la Côte d'Ivoire? Surement pas surtout en période de crise.
SI LE PPTE
N'EST PAS UNE ANNULATION DE DETTE QU'EST CE QUE C'EST?
Ce
qu'il faut comprendre c'est que quand les états créanciers de la Côte d'Ivoire,
à travers l'initiative PPTE, disent qu'ils annulent la dette, ils veulent dire
par là que la Côte d'Ivoire n'aura plus à payer ce qu'elle leur doit à eux
directement, en tant qu’État. Par exemple quand à travers l'initiative PPTE la
France dit qu'elle annule une partie la dette de la Côte d'Ivoire cela ne
signifie que la Côte d'Ivoire n'aura plus à payer cette dette à la France en
tant qu'Etat. Pourtant, cette dette sera bel et bien payée.
COMMENT LA
DETTE « ANNULEE » SERA T’ELLE PAYÉE?
En
fait les 7,7 milliards dits "annulés" seront quand même payés aux
profits de projets octroyés à des entreprises issues des États créanciers
concernés. En réalité ces entreprises se partageront les 7,7 milliards au
prorata de la créance du pays dont elles sont issues. Aucun pays, aussi
généreux soit-il, ne peut se permettre de faire de tels cadeaux. Chaque pays
créancier a positionné une liste d'entreprises qui bénéficieront, de manière indirecte,
de ce paiement à travers l’octroi de marchés protégés. Notons que ces marchés
sont le plus souvent surfacturés ce qui n’est pas à l’avantage des populations
ivoiriennes. C'est pour cela que parler d'annulation de la dette est une
mauvaise appréciation des choses car en vérité la dette publique de la Côte
d'Ivoire est simplement, et habillement, transformée en dette privée. Ce n'est
donc plus à la France que la Côte d'Ivoire devra payer mais par exemple à
Bouygues ou une autre entreprise française positionnée par l’État français.
QUE GAGNE LA
CÔTE D'IVOIRE DANS TOUT CELA?
C'est
là qu'entre en jeu le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DCRP).
En fait, les entreprises bénéficiaires devront effectuer des travaux ou
réaliser des projets allant dans le sens de la réduction de la pauvreté en Côte
d'Ivoire. Le problème est que ce n'est pas la Côte d'Ivoire qui choisit les
programmes que seront financés dans ce cadre. Ce sont les États créanciers
eux-mêmes. Leurs entreprises ayant un souci de rentabilité avant tout leur
choix sera plus guidé par la recherche de leur propre intérêt que par celui des
Ivoiriens. Dans un tel contexte, d’évidence, l’allègement de la dette lié au
PPTE ne servira pas à augmenter les salaires contrairement à ce qui se dit
depuis quelques jours. Les créanciers ne gagnent rien à ce que les salaires
augmentent en Côte d'Ivoire donc ces déclarations sont totalement illusoires.
L'idée
selon laquelle l’initiative PPTE aidera la Côte d’Ivoire à remplir ses caisses
de sommes colossales issues de l'annulation de la dette est fausse.
LE PPTE RISQUE
MÊME D'AGGRAVER LA SITUATION DE LA CÔTE D'IVOIRE
Pourquoi?
Parce que selon le mécanisme décrit plus haut, la dette publique internationale
ivoirienne glisse en dette privée internationale mais demeure sur une autre
ligne du budget. Notons que la Côte d'Ivoire à déjà d'autres créanciers privés
qui attendent aussi le paiement de leur dette. Ce sont les créanciers du Club
de Londres. Donc, à partir du moment où la Côte d'Ivoire commencera à financer
de nouveaux projets (qui auront été acceptés pas les créanciers et leurs
entreprises) dans le cadre du PPTE, les créanciers du Club de Londres
réclameront également le paiement de leur dette. Grâce au PPTE ils deviennent
eux aussi prioritaires. Ce qu'il faut craindre c'est que dès le trimestre
prochain le poids réel du remboursement de la dette ivoirienne n’augmente
puisqu’il faudra payer la dette privée liée du PPTE plus celle des créanciers
du Club de Londres.
L'ARNAQUE
ULTIME
Plus
que la jubilation, c’est l’inquiétude qui s’impose car le poids de la dette en
vérité augmente avec le PPTE et il faudra trouver l'argent pour rembourser. Les
caisses de l’État n’étant en bonne
santé: où trouver l'argent? Le contribuable ivoirien va-t-il supporter le poids
de toutes ces erreurs cumulées ?
Dans
ce contexte, pour supporter la dette croissante, la Côte d'Ivoire va
certainement devoir négocier de nouveaux emprunts auprès des Etats occidentaux,
du FMI et de la Banque Mondiale. C'est l'effet boule de neige. On emprunte à
nouveau pour rembourser des anciennes dettes, on creuse un trou pour en boucher
un autre. On fonctionnera comme ça pendant 10 ou 20 ans en attendant une
nouvelle initiative PPTE car la première n'aura rien changé et on sera toujours
très très endetté. Toujours plus.
Ce
n’est pas ainsi que l’on peut espérer l’émergence. La seule solution, c’est de
sortir de l’économie de l’endettement et d’aller vers une économie de marché.
Ni le PPTE ni aucun programme d’aide publique au développement ne fera le
développement de la Côte d’Ivoire. Le développement a deux préalables: il faut
d’une part les incitations d'un marché libre et d’autre part les institutions
d'un Etat de droit. La liberté économique encadrée par de bonnes institutions
est la voie la plus responsable et efficace pour construire le progrès."
Source :
Audace-Afrique.net
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