La
terreur des FRCI et la colonisation de l’ouest par des envahisseurs burkinabés
dénoncées.
Par F A N N Y P I G E A U D pour Le Monde diplomatique.
Ouattara et son armée de
criminelle FRCI
|
A
Abidjan, les
exactions contre les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo se sont
multipliées cet été. Si M. Alassane Ouattara a finalement pris le pouvoir, en
mars 2011, après une crise postélectorale meurtrière, la réconciliation est
encore loin. Dans l’ouest du pays, l’Etat ne contrôle plus rien ; des mafias
ont mis la main sur l’économie du cacao.
L’enjeu le contrôle des ressources
naturelles
UN VÉHICULE calciné et criblé
de balles : c’est tout ce qu’il reste de l’attaque qui, le 8 juin 2012, a coûté
la vie à sept casques bleus près de Taï, petite bourgade de l’ouest de la Côte
d’Ivoire. Dans cette région, depuis plus d’un an, les villages font l’objet de
mystérieux raids meurtriers. Yamoussoukro
(1) a accusé des «mercenaires libériens». Partisans de l’ex-président Laurent
Gbagbo et opposés à son successeur Alassane Ouattara, ces hommes traverseraient
le fleuve Cavally, qui marque la frontière avec le Liberia, pour venir semer la
terreur en Côte d’Ivoire. Mais, sur le terrain, la situation ne paraît pas
aussi claire : depuis la crise qui a suivi l’élection présidentielle de 2010
(2), dans l’ouest du pays se joue un inquiétant imbroglio politique et
militaire, avec pour seul enjeu le contrôle des ressources naturelles.
Agriculteur ivoirien au travail
avant la colonisation burkinabè (Burkina-Faso)
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Ce sont en effet ses sols,
extrêmement fertiles, qui font la richesse de cette région verdoyante. On y
cultive le cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial. S’y
étendent également les dernières aires forestières nationales, dont les forêts
de Goin-Débé (133 000 hectares) et de Cavally (62 000 hectares), réservées à la
production de bois d’oeuvre (3). Depuis toujours, ces atouts ont attiré des
planteurs d’un peu partout, y compris d’Etats voisins. Ce mouvement avait été
encouragé par le président Félix
Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993), qui avait décrété que « la
terre appartient à celui qui la met en valeur ». Si la région est aujourd’hui
l’un des principaux centres de production de cacao, on y plante aussi des
hévéas, qui hissent le pays au rang de premier producteur africain de
caoutchouc. «Cinq hectares d’hévéas rapportent de 7 à 8 millions de francs CFA
[environ 12000 euros] par mois », calcule un sous-préfet. Une petite fortune.
Les problèmes ont commencé au
milieu des années 1980, lorsque les cours mondiaux du cacao et du café ont
chuté. La concurrence entre planteurs s’accroissant, des conflits fonciers ont
alors éclaté entre les autochtones, devenus minoritaires, et les étrangers. La
politique de l’« ivoirité » promue par le président Henri Konan Bédié
(1993-1999) a encore envenimé les relations en poussant les nationaux à
revendiquer les terres cédées aux nouveaux arrivants. Une loi de 1998 a
explicitement exclu les non-Ivoiriens de la propriété foncière.
Des
hommes armés s’emparent d’un parc national
Des Milices Dozo (pro-Ouattara ) |
La tentative de coup d’Etat
perpétrée le 19 septembre 2002 contre le président Gbagbo par des militaires du
nord du pays partisans de M. Ouattara a achevé de mettre le feu aux poudres. La
guerre civile qu’elle a déclenchée a touché tout particulièrement l’Ouest et la
ville de Duékoué. Située à une centaine de kilomètres au nord de Taï, Duékoué
se trouve au croisement stratégique des routes menant au Liberia, en Guinée et à
San Pedro, port d’exportation du cacao. Les rebelles, baptisés Forces
nouvelles, y ont fait venir d’anciens combattants des guerres civiles
libérienne (1989-1997) et sierra-léonaise (1991-2002), dont Sam Bockarie,
responsable d’atrocités en Sierra Leone.
En retour, Yamoussoukro a
aussi mobilisé des Libériens et armé des civils, pour la plupart autochtones.
Chaque camp a semé la terreur, contribuant à exacerber les antagonismes
communautaires.
A l’issue du conflit, le pays
s’est trouvé de facto divisé en deux et Duékoué placée sur la ligne séparant le
Sud, administré par la capitale, et le Nord, géré par les Forces nouvelles. La
région du Moyen-Cavally (devenue depuis deux entités différentes, le Cavally et
le Guémon), dont dépendaient Taï et Duékoué, est restée dans le camp
gouvernemental. Mais les armes ont continué à circuler pendant toutes les
années 2000, et des milices et groupes d’autodéfense plus ou moins soutenus par
le camp Gbagbo se sont maintenus face aux rebelles, si bien que les tensions
sont demeurées fortes, la présence de l’Etat étant en outre très limitée.
Des soldat FRCI ( pro-Ouattara
) assassinant en toute impunité
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Après la signature de
l’accord de paix (4), le 26 janvier 2003, d’ex-combattants rebelles profitent
de l’accalmie pour s’emparer de portions de territoire: M. Amadé Ouérémi, un
Burkinabé ayant grandi en Côte d’Ivoire, s’installe ainsi avec plusieurs
dizaines – voire plusieurs centaines – d’hommes armés dans le parc national du
Mont Péko, à trente cinq kilomètres au nord de Duékoué. Ils y cultivent
notamment du cacao. Impossible de les déloger : en 2010, ils chassent même des
agents de l’Office ivoirien des parcs et réserves et incendient leur véhicule.
Un autre phénomène déstabilisateur apparaît en 2007: l’arrivée, par cars
entiers, de Burkinabés.
En toute illégalité, beaucoup
s’établissent dans la forêt de Goin-Débé, où ils développent des plantations de
cacao. Dans le même temps, de nombreux déplacés de la guerre ne parviennent pas
à récupérer leurs champs.
Quand la crise postélectorale
opposant MM. Ouattara et Gbagbo se transforme en conflit armé, en mars 2011,
Duékoué souffre comme jamais. Lors de la prise de la ville par l’armée créée
par M. Ouattara, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, composées
principalement des ex-Forces nouvelles), des centaines de personnes – la Croix-Rouge
a compté huit cent soixante-sept corps –, essentiellement de jeunes hommes, ont
été assassinées. Selon une commission d’enquête internationale et des
associations, ce sont des soldats des FRCI qui ont commis ces crimes, ainsi que
des Dozos, une confrérie de chasseurs traditionnels traditionnels du nord du
pays, et des partisans de M. Ouérémi. Malgré les promesses de justice du
président Ouattara, qui prend finalement le pouvoir le 11 avril 2011, cette
tuerie n’a donné lieu à aucune enquête.
Depuis, la situation s’est
encore compliquée, avec l’entrée en scène de nouveaux acteurs. D’abord, des
hommes armés attaquent, à partir de juillet 2011, une petite dizaine de
villages. C’est à leur propos que les autorités parlent de «mercenaires
libériens » payés par des opposants à M. Ouattara en exil au Ghana. Des sources
onusiennes évoquent plutôt des autochtones réfugiés au Liberia et cherchant à
défendre les terres qu’ils ont perdues. Ensuite viennent les Dozos : arrivés
dans la région pendant la crise, ils n’en sont jamais repartis. De plus en plus
nombreux, ils circulent à moto, en habits traditionnels, agrippés à leur fusil
«calibre 12». Beaucoup viennent du Burkina Faso et du Mali. Certains sont
devenus agriculteurs. L’inverse est aussi possible : il y a un an, un planteur
burkinabé installé près de Taï depuis une trentaine d’années a rassemblé un
groupe de Dozos pour « assurer la sécurité des populations », dit-il.
En réalité, beaucoup de
Dozos, devenus miliciens, terrorisent la population et la rackettent. Les
villages ont perdu tous leurs habitants autochtones.
Les
villages ont perdu tous leurs habitants Autochtones
A cela s’ajoute l’immigration
burkinabé, d’une ampleur sans précédent. Huit cars transportant chacun environ
deux cents personnes arrivent désormais chaque semaine à Zagné, à cinquante
kilomètres au nord de Taï. Une partie de ces voyageurs s’entassent aussitôt
dans des camions de chantier qui prennent la direction du sud-ouest.
Leur installation se trouve
facilitée par l’absence d’une grande partie de la population autochtone – au
moins soixante-dix mille personnes – réfugiée au Liberia. Les treize villages
implantés au sud de Taï ont ainsi perdu tous leurs habitants autochtones. sauf
un : fin juin, à Tiélé-Oula, il restait neuf Oubis sur les quelque deux cents
qui y vivaient avant 2011, pour trois mille Burkinabés. Si certains Burkinabés
investissent les champs des absents, beaucoup gagnent les forêts de Goin-ébé et
de Cavally, désormais totalement ravagées.
Dormant sous tente, ils y plantent
des cacaoyers, des hévéas, mais aussi du cannabis. A Yamoussoukro et à Abidjan,
la situation est connue : fin mai, le gouvernement a ordonné l’évacuation des
forêts avant le 30 juin. Sans résultat. «L’Etat doit contrôler les frontières,
assène le maire adjoint de Taï, M. Téré Tehe. Et il ne faut pas attendre que
ces gens aient fini de planter pour les chasser.»
Problème: les nouveaux occupants sont
armés. Observant un jeune paysan burkinabé partir aux champs un fusil en
bandoulière, le chef autochtone du village de Tiélé-Oula, M. Jean Gnonsoa, ne
cache pas son désarroi : « Ici, les étrangers peuvent avoir des armes, mais pas
les autochtones » – sous peine de représailles.
«Comment régler sereinement
un litige foncier face à quelqu’un qui est armé ? », s’interroge M. Tehe. «Les
Burkinabés nous disent que le président qui est venu [M. Ouattara, qui a des
origines burkinabés est leur homme, et qu’ils ont donc le droit de tout faire
», déplorent des villageois. De fait, certains s’emparent de plantations déjà
occupées.
«Aujourd’hui, 80% de ceux qui
sont installés dans les forêts de Goin-Débé et de Cavally sont armés de
kalachnikovs et de fusils calibre 12 », rapporte un administrateur local. Il
évoque une organisation mafieuse à l’origine de cette colonisation : « Il y a
ceux qui les convoient, ceux qui établissent dans les forêts les points de
contrôle auxquels chacun doit payer 25 000 francs CFA pour avoir accès à une
parcelle de terre, etc. » M. Ouérémi est régulièrement cité comme l’un des
responsables présumés de ce trafic de terres et de personnes, en lien avec des
officiers des FRCI.
Dans le pays, les FRCI,
justement, sont les seules forces régulières à disposer d’armes depuis que,
soupçonnées d’être favorables à M. Gbagbo, police et gendarmerie en sont
privées. Jouissant d’une impunité quasi totale, elles font la loi. A Duékoué,
elles entretiennent un climat de terreur et sont, d’après plusieurs témoins,
impliquées dans des exécutions extrajudiciaires. Des observateurs les accusent
aussi d’être derrière certaines des attaques attribuées aux «mercenaires
libériens ».Beaucoup soupçonnent leurs membres d’être originaires d’une seule
région, le Nord, mais aussi d’être de nationalité burkinabé.
Impôts
illégaux et racket des paysans
Une chose est certaine : les
FRCI se sont arrogé le droit de percevoir les taxes qui devraient normalement
revenir à l’Etat. Selon un rapport de l’ONU, elles prélèvent aussi «de 4 à 60
dollars, voire beaucoup plus », sur les déplacements de personnes et de
véhicules (5). Et elles rackettent les paysans : dans un village près de Taï,
une femme se plaint de devoir leur payer 20 000 francs CFA (30 euros) par mois
pour accéder à sa plantation.
Après la mort des casques
bleus, plusieurs centaines d’éléments FRCI ont été déployés autour de Taï pour
une opération de « sécurisation » dirigée par le commandant Losséni Fofana,
alias « Loss ».
Ancien chef de guerre des
Forces nouvelles, ce dernier commandait déjà les troupes qui ont attaqué
Duékoué en 2011. Ses soldats auraient joué un rôle important dans le massacre
des Guérés (6). Pour l’actuelle opération de « sécurisation », il a fait installer
de nombreux points de contrôle. Les mauvaises langues assurent qu’ainsi pas un
seul sac de cacao n’échappera au racket des FRCI. Et peut-être aussi à la
contrebande vers le Ghana (7).
Début juillet, le
gouvernement a annoncé le lancement d’un recensement national des ex
combattants – le deuxième en un an –, promettant le désarmement tant attendu.
Cela ne suffit pas à rassurer les habitants du Far West ivoirien, dont beaucoup
voudraient aussi que la justice fonctionne: malgré les promesses du président
Ouattara, la tuerie de mars 2011 n’a donné lieu à aucune poursuite judiciaire.
Pis, elle a vraisemblablement
été le moteur d’un nouveau drame, le 20 juillet : des centaines d’individus,
parmi lesquels des Dozos et des FRCI, ont attaqué et détruit un camp de
déplacés du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), près
de Duékoué. En toute impunité. Des sources humanitaires parlent de cent trente-sept cadavres retrouvés
dans les jours qui ont suivi ; des Dozos ont également cherché à faire disparaître
de nombreux corps. Plusieurs indices laissent penser que cette attaque avait
été planifiée de longue date. Sous couvert d’anonymat, un spécialiste de la
région nous confie : «Le camp était gênant, car des témoins du massacre de mars
2011 s’y trouvaient. Aujourd’hui, ils sont morts ou dispersés. C’est ce que
voulaient ceux qui ont organisé l’opération. »
Source: le monde-diplomatique
(1) Yamoussoukro est la capitale politique de
la Côte d’Ivoire ;
Abidjan,
sa capitale économique.
(2)
Lire Vladimir Cagnolari, «Côte d’Ivoire, les héritiers maudits
de
Félix Houphouët-Boigny», Le Monde diplomatique, janvier 2011.
(3)
Bois destiné à être travaillé.
(4)
L’accord de Marcoussis (près de Paris) prévoyait le maintien
au
pouvoir du président Gbagbo et un gouvernement ouvert à toutes
les
parties.
(5)
Rapport S/2012/196 du Groupe des experts sur la Côte d’Ivoire
de
l’ONU, avril 2012.
(6)
Rapport de Human Rights Watch, « “Ils les ont tués comme
si
de rien n’était” », octobre 2011.
(7)
Rapport S/2012/196, op. cit.
Source: Le Monde diplomatique de septembre 2012
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