Par Marc Micael
Belle, riche, magnifique…,
les adjectifs ne manquent pas pour parler de la Côte d’Ivoire. Un pays que
d’aucuns n’hésitent pas à qualifier – à juste titre d’ailleurs - de « béni de
Dieu ». N’est-ce pas aussi ce qui lui vaut tant de malheurs, de crises à n’en
point finir ?
Certes on en parle souvent
en oubliant que ce remarquable pays - la
Côte d’Ivoire ne se limite pas qu’aux seules populations ou aux élites urbaines. Peut-être,
serions plus conscients du drame ivoirien, peut-être, serions-nous plus averti
sur la tragédie que vit ce pays en prenant la peine d’aller plus loin
qu’Abidjan et ses banlieues. Pour une fois, en quittant nos claviers d’ordinateurs, nos écrans de
téléviseurs, bref tout ce qui fait de nous des citadins cloîtrés, pour écouter
et savoir ce que ces autres ivoiriens,
ceux qui résident en campagne ont, eux aussi vécu, durant les heures sombres de
la crise post-électorale.
Dès lors, pourrions-nous
mieux comprendre comment ces derniers appréhendent l’avenir, à présent que le
chaos s’est installé ? Quelles sont leurs profondes aspirations dans un pays
certes meurtris mais qui est aussi le leur ? Car en effet, le pouvoir qui
focalise notre attention – la conquête, la gestion du pouvoir - peut-il revêtir
son vrai sens, conserver sa vraie valeur, si l’on oublie qu’en dehors d’Abidjan
et de certaines grandes villes, il y a aussi la Côte d’Ivoire ? Cette Côte
d’Ivoire profonde, rurale, la Côte d’Ivoire
côté verso, cette Côte d’Ivoire occultée.
Car en effet, ce que l’on
voit, lit et entend dans les médias, très souvent, ne reflète malheureusement
pas assez cette Côte d’Ivoire que l’on dit « une et indivisible ».
La plupart des villages
ivoiriens sont constitués de deux principaux types de d’habitants : les autochtones et les
allogènes. Des allogènes qui dépassent parfois en nombre leurs tuteurs
autochtones. Normal pour un pays qui a accueilli et qui accueille encore des
vagues entières d’immigrés essentiellement venus des pays de la CEDEAO, attirés
par l’apparente prospérité de ce pays, mais aussi d’ivoiriens venus d’autres
régions à la recherche de terres arables. Les allogènes occupent donc des
terres depuis plusieurs années à tel point qu’il est parfois difficile aux
jeunes générations d’autochtones d’en avoir, le moment venu. D’où les fréquents
conflits fonciers qui jusqu’ici n’ont jamais dépassé le seuil de violence
auquel nous avons assisté durant cette crise.
Comme dans presque tous ces
villages, la cohabitation entre autochtones et allogènes naguère pacifique et
empreint de respect mutuel, à la faveur de la récente crise post-électorale,
disons-le tout net, a pris un véritable coup de froid. Car la politique,
celle-là inique et cynique est passée par là.
Plus d’une décennie de
campagnes d’intoxication menée par des gens qui disaient combattre l’exclusion
que subissaient certains ivoiriens et la xénophobie pratiquée . Selon leurs
dires - contre les étrangers, aura bien plus contribué à créer une telle
fracture sociale que la crise post-électorale elle-même. Crise qui n’était, en
fait qu’un prétexte pour assouvir tant haines et de vengeances fabriquées et
attisées durant toutes ces années par ces chantres de la prétendue
«xénophobie-exclusion » en Côte d’Ivoire.
Ce qui s’est passé dans la
plupart de ces villages si hospitaliers et en majorités situés dans la partie
sud du pays, durant et après la chevauchée de la soldatesque sanguinaire aux
ordres de monsieur Ouattara, est troublant, voire traumatisant, au plus haut
point.
Un villageois, la voix
encore pleine d’émotions raconte : « Nous étions terrés dans nos maisons, avec
nos femmes et nos enfants. Des hommes en arme avaient pris le contrôle de notre
village, semant partout la terreur. Ce qui nous a le plus choqué, c’est que ces
tueurs étaient soutenus et aidés par ceux que nous avons accueilli chez nous
depuis plusieurs décennies. Ce sont ces derniers qui indiquaient nos maisons et
ceux d’entre nous qu’ils jugeaient proches de Laurent Gbagbo. Nos maisons
étaient systématiquement fouillées, passées au peigne fin. Gare à celui chez
qui ils trouvaient un poster, un tee-shirt à l’effigie de Laurent Gbagbo, ou même le numéro d’un journal « bleu ». Celui-là
était d’office considéré comme un homme mort, un ennemi juré du nouveau régime
dont le mentor n’est nul autre qu’Alassane Ouattara ».
Un autre relate comment des
autochtones du village, essentiellement des jeunes, ont été pourchassés,
contraints à fuir nuitamment leur propre village, à se réfugier dans la
brousse, abandonnant femmes et enfants. Il nous explique encore comment ceux
qui n’ont pas eu la chance de fuir furent capturés, découpés à la machette,
massacrés à coups de gourdins ou fusillés de sang-froid.
Ces villageois avaient du
mal à comprendre pourquoi leurs hôtes pactisaient avec ceux qui en voulaient à
leur vie. Le plus ahurissant pour eux, fut certainement l’attitude hautaine,
provocatrice et pleine de mépris de leurs frères venus d’ailleurs quand ils
apprirent la chute du régime de Laurent Gbagbo et que monsieur Ouattara
présiderait désormais aux destinées de ce pays.
A la question de savoir
pourquoi, ils n’ont pas réagi face à cette vague de violence et de représailles
dont ils furent les victimes expiatoires car étant sur leurs propres terres, la
réponse nous parut à la fois simple et déconcertante : « Jamais de notre
existence, nous n’avons assisté à tant de barbarie et de sauvagerie ! Jamais
nous n’avons vu de nos propres yeux, la
violence portée à son paroxysme, comme s’y adonnèrent nos frères étrangers.
Nous ne nous y attendions pas du tout. Voilà ce qui nous a ôté toutes nos
forces. Nous, nous sommes un peuple pacifique. Nos querelles, quelles qu’elles
soient, ne nous ont jamais poussé à verser tant de sang». Ce sont donc des
personnes résignées, des populations autochtones encore traumatisées, hantées
par cette sombre période d’horreur et d’angoisse certes, qui essayent tant bien
que mal de s’en remettre, que nous avons rencontré.
Désormais, entre autochtones et allogènes, la méfiance
est de mise
Ceux qui s’adonnèrent aux
représailles sont encore présent dans les villages. Certains de ceux qui furent
contraints à fuir – aux premières heures - pour sauver leur vie, sont
progressivement revenus. Ceux qui ne fuirent pas mais qui furent néanmoins des
victimes humiliées et choquées sont aussi là, rage, colère et indignation
contenues. Les uns et les autres se regardent en chiens de faïence. Chaque
habitant – en réalité - garde dans son cœur le triste et douloureux souvenir de
ces sombres moments.
Ainsi, reste encore tenace
le sentiment que cette crise, la crise
ivoirienne est loin d’être finie. Le tout, dans une accalmie précaire qui
ne n’augure en effet rien de bon. Pour ces braves populations, la
réconciliation ne signifie en fait rien du tout. Tant que leurs droits et leur
dignité leur sont niés et que ne leur honneur reste bafoué. En attendant que
vienne pour eux leur tour de s’exprimer face à ce bouleversement sauvage et
inattendu.
Ainsi vit la Côte d’Ivoire côté verso. Loin des bruits de la capitale économique, loin des discours laudateurs sur
le respect des droits de l’Homme, sur la croissance économique et les
cérémonies saugrenues de réconciliation, médiatisées à outrance. Ainsi va la
Côte d’Ivoire où le parti-pris des gens du pouvoir actuel en faveur des
revanchards meurtriers nourris aux mamelles de la « xénophobie-exclusion »,
n’est plus à démontrer.
Dans un tel contexte,
comment accorder d’avantage de crédit à ces manipulateurs obséquieux installés
aujourd’hui au pouvoir, qui font de la réconciliation nationale un conte de fée
juste bon pour les ignares et pour qui la Côte d’Ivoire ne se résume qu’à eux
et leur clan ? Qu’ils prennent garde, on ne se moque pas indéfiniment et
impunément d’un peuple humilié.
Source abidjandirect.net
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