Tribune
de Michel Galy, Politologue et sociologue
Politologue,
professeur à l’Institut des Relations Internationales (ILERI,Paris)
Titre :
abidjan_pas_net
Les
Rebellions à l’assaut des Etats, voie africaine du politique.
Offensive
éclair des rebellions centrafricaines vers Bangui : le président Bozizé fait
appel au Tchad mais doit composer – s’il n’est déjà trop tard ! . Les rebelles
du M23 congolais avancent vers Goma: Kabila engage quasi immédiatement des
négociations sous l’égide de Kampala. Et on peut remonter plus loin et prendre
des comparaisons plus larges: se référer par exemple à la Cote d’Ivoire ou au
Mali. Les groupes armés à l’assaut des Etats seraient- ils une voie africaine
du politique, honnie par la « communauté internationale », mais en passe de devenir
aussi courant sur le continent noir que les putschs militaires post
Indépendances ?
En
effet, la rébellion croissante du M23, en République démocratique du Congo, en
rappelle irrésistiblement d’autres, et il y a une indéniable contagion des
esprits dans les formes de contestation du pouvoir établi, en Afrique
subsaharienne. Une disgrâce diplomatique, un pouvoir fragile, une
déstabilisation médiatique, des « coups tordus » des Services instrumentalisant
un foyer rebelle…Ainsi se dessine un processus de déstabilisation qui tend
décidément à se dupliquer excessivement, -au point de révéler sa nature et son
origine !
« Bonnes » ou «
Mauvaises » rebellions ?
Mais
ne faut-il pas faire des parallèles plus généraux, qui indiquent une
instrumentalisation, -ou une « fabrique des rébellions » pour déstabiliser un
régime qui a cessé de plaire en Occident, notamment pour des raisons
géopolitiques ?
Autant
la chute spontanée de régimes dictatoriaux (comme en Tunisie ou en Egypte) est
un signal pour nombre de Mouvements de Libération, autant le renversement par
une force militaire occidentale(à l’instar de la Libye) et/ou une rébellion
téléguidée semble, en ce débat du XXI ème siècle , une terrible « leçon de
choses » pour des régimes ou des leaders contestataires du condominium des
grandes puissances: les missiles Tomahawks, les drones, et les bombardements
massifs s’opposent , dans l’imaginaire collectif du politique subsaharien, aux
manifestations massives de tout un peuple qui prend spontanément les symboles
du pouvoir ; que l’Occident réponde par une attaque militaire disproportionnée
indique bien où se trouve ici ,encore et toujours, la Maîtrise : là aussi, le
médium-la violence- est bien le message latent, mais efficace.
Face à cette
dichotomie, les rebellions instrumentalisées jouent un peu le rôle des «
tirailleurs sénégalais » de l’époque coloniale : supplétifs des armées ou corps
expéditionnaires occidentaux, elles sont créées ou aidées par une puissance
extérieure : financement, uniformes, carburant, moyens de communication, armes,
moyens de transport, jusqu’aux plans d’invasion et de coordination sont
fournis- directement, ou par une puissance relais : le Burkina Faso en Afrique
de Ouest pour la France, le Rwanda et l’Ouganda pour les Etats Unis pour les
Grands Lacs.
Pour
parler d’une période récente, le LURD a été créée ex nihilo par la CIA dans les
camps de réfugiés de Guinée Conakry pour renverser Charles Taylor au Liberia
sans qu’un seul « marine » américain pose le pied à Monrovia. Juste retour des
choses, puisque via le Burkina de Blaise Compaoré, le NPLF de Charles Taylor
avait dans un épisode précédent conquis le Liberia, comme le RUF de Foday
Sankoh la Sierra Leone et le MPCI de Guillaume Soro la Côte d’Ivoire.
Bien
sûr, les capitales occidentales n’ont pas toujours inventé les rébellions, ni
instrumentalisé leurs objectifs. Que l’on se souvienne de l’Angola par exemple,
où chacun des blogs de la guerre froide soutenait un mouvement armé. Durant les
50 ans des Indépendances, nombre d’autocrates africains n’ont eu besoin de
personne pour pousser des émigrés politiques à déstabiliser un rival ou un
voisin à leur profit.
La
différence est sans doute qu’après la chute du Mur de Berlin, les menées par
incursions ou rebellions interposées des deux camps ne se régulent plus dans
l’équilibre des Usa et de l’URSS, et que le rôle croissant des médias permet
une instrumentalisation supplémentaire : celle de l’opinion publique
internationale, selon les buts du moment. Comme s’il s’agissait, par relais
africains et médias complaisants, de naturaliser les raisons de la chute d’un
régime africain- ou, c’est selon l’intérêt du moment, d’intervenir à son profit.
Légitimation
médiatique et pressions diplomatiques
Dans
la fabrique de l’information, que les décideurs médiatiques le veuillent ou
non, le passage fondateur d’un acteur politique sur une grande chaîne
occidentale est perçu par l’opinion publique des pays du Sud - spécifiquement
ici africaine, comme une légitimation de la part de la puissance de résidence
de la télévision en question. C’est ainsi qu’en bonne logique françafricaine la
naissance politique du MNLA peut se dater des images de janvier 2011 donnant à
voir un porte-parole touareg en grand apparat de la mythique culture des «
hommes bleus », tout en turban et drapé, sur les plateaux de France 24-
séquence immédiatement ressentie comme une « trahison »de Paris par la presse
de Bamako !
En
sera t-il de même pour Jean Marie Runiga
(dirigeant politique du M23 congolais), dans une émission symbolique d’un média
d’Etat français qui le poserait en rival (si ce n’est en successeur) de Joseph
Kabila- dont on peut rappeler le cinglant désaveu par François Hollande lors du
récent sommet de la Francophonie à Kinshasa ? On se souvient de la séquence
réglée, lors de la crise ivoirienne de la fin 2010, de la proclamation des
résultats de l’élection présidentielle à l’hôtel du Golf d’Abidjan, en avril
2010. Aussi important que le discours du président de la commission électorale,
la « certification » du représentant de l’ONU ou l’allocution de M Ouattara,
était la présence témoin de chaînes de télévision françaises- à l’exclusion des
médias et journalistes ivoiriens.
La rébellion de M. Soro, depuis 2002, n’avait-elle
pas toujours joué la carte de la légitimation par les médias occidentaux et les
puissances occidentales ? Sur cette scène de re-présentation (ce que Georges
Balandier appelait déjà le « pouvoir sur scène ») gagnent ou perdent d’abord
les rébellions africaines- avant les montages diplomatiques et les interventions
militaires.
Multiples
médiateurs
Le
cas malien offre le savoureux spectacle d’une multiplicité de « médiateurs
»...jusqu’au premier ministre récemment nommé, M. Diango Sissoko, ci-devant «
médiateur de la République malienne » ! Le « médiateur ouest africain », le
président Blaise Compaoré, s’efforce officiellement de réconcilier MNLA et
Ansar Dine avec le pouvoir malien –lui même bien éclaté…L’ex président du
Burundi, M. Buyoya, est médiateur de l’Union africaine. Tous devraient être
coiffés par l’ex président du Conseil italien, M Romano Prodi, son pouvoir
procédant du secrétaire général de l’ONU. Du coup le médiateur du Bénin, le
doyen Tevoédjré confère avec le médiateur ivoirien et les deux s’intéressent
fort à la crise malienne.
L’Algérie se voit bien aussi « médiatrice », on ne
sait trop entre qui et qui, tellement elle est juge et partie. La diplomatie
française pousse en sous-main certains des « médiateurs » CEDEAO ou UA, tandis
qu’elle prépare activement la guerre par africains interposés et forces
spéciales « discrètes »… Et si trop de médiations tuaient la médiation ? Il en
ressort bien évidemment une cacophonie diplomatique intense, tant il est
évident que certains « médiateurs » sont des acteurs du conflit, et que
l’absence de coordination se fait sentir…Voilà qui rappelle les pires moments
diplomatiques de la crise ivoirienne.
Le
fait que les USA, l’ONU, l’Algérie et le Burkina sont, pour des raisons
diverses et variées, opposés à une intervention militaire explique cette
multiplicité d’acteurs et cet « imbroglio diplomatique »- qui surdétermine la
crise malienne interne. Sans doute les ONG « spécialisées » comme Sant’ Egidio
(et même le Vatican), voire l’ambassadeur français à Bamako sont-ils actifs
dans leurs confidentielles « médiations » internes et externes, sans grande
coordination avec les médiateurs officiels. Les différents acteurs et niveaux
de médiations reflètent en fait l’internationalisation rapide et croissante des
crises internes africaines, qui ajoutent aux désordres locaux en prétendant les
résoudre.
La
crise renaissante en RDC nécessite t-elle vraiment, après l’Ouganda et le
Rwanda, d’autres médiateurs aussi compromis ? L’embrouillamini créée à Kinshasa
par les forfaitures de l’introuvable « communauté internationale (diplomates,
observateurs, Ong...) refusant d’avouer truquées les élections de 2011- et que
Tschisèkédi est plus légitime que Kabila - ont abouti à une situation bloquée
et à une délégitimation de tout pouvoir ; c’est la rébellion, si elle arrive à
s’allier à l’opposition qui peut arriver à une alternance de régime- et certes
par la violence. A moins que cette nouvelle menace de guerre de conquête amène
le pouvoir actuel à composer- ou à se retirer, ce qui paraît plus que
douteux...Toute la question semble dès lors celle de l’après Kabila et du
contrôle démocratique des nouveaux « entrepreneurs de la violence », aussi peu
légitimes que les actuels gouvernants.
Le
paradoxe politique actuel, en Afrique subsaharienne, est bien le recours aux
rebellions instrumentalisées devant des régimes à la façade démocratique, à la
corruption désastreuse et aux pratiques despotiques ; tandis que le «
politiquement correct » mondial, d’obédience américaine et d’incarnation
onusienne prétend infréquentables, voire juridiquement condamnables, les
militaires ou les civils qui se dressent spontanément contre d’insupportables
dictatures. Ajoutons à cela des troupes d’occupation dites de « maintien de la
paix » aux effectifs considérables et en augmentation constante, un dévoiement
de la justice internationale vers une « justice de vainqueurs », tous les
éléments s’imbriquent pour des situations régionales et nationales bloquées-
tandis que l’exploitation du continent se poursuit allégrement par le « retour
des grandes Compagnies » qu’on peut s’accorder à trouver avec le politologue
Achille M’bembe très XIXeme sièvlce…
A
partir de « foyers conflictuels » comme le Kivu en RDC, l’Azawad au Mali,
l’Ouest ivoiro-libérien, c’est bien des systèmes de « guerres nomades »
ravageuses et en extension qui suivent des cycles de violence récurrents.
L’échelle régionale est souvent atteinte quand une puissance occidentale envoie
un corps expéditionnaire : cet « effet pervers » risque bien de se produire au
Sahel, à partir du Mali. Quant à la RDC, plutôt que de criminaliser une
rébellion et revenir à une autre guerre continentale africaine », comme celle
des années 90 qui a touché de près ou de loin jusqu à 14 pays autour du
Congo/Zaire, faut –il vraiment qu’elle fasse sa jonction avec l’opposition
civile d’Etienne Tshidekedi et marche vers Kinshasa ?
Devant
une alternative qui verrait se recommencer un cycle congolais d’alternance par
rébellion interposée, ou la répression d’un mouvement armé par les Nations
unies -sortant une fois de plus de leur rôle, l’analyse des ouvertures
médiatiques et du « story telling » du Kivu par les medias occidentaux
fourniront de bons indices de la conclusion ultime.
Au-delà
du Congo - plutôt que de judiciariser et criminaliser les « mauvaises » rebellions,
plutôt que de créer, armer et légitimer les « bonnes »- les puissances
occidentales feraient peut être bien de réfléchir à l’affaiblissement des Etats
qu’elles prétendent sauver, au coût exponentiel des interventions militaires
pour contenir les alternances réelles- ne serait-ce que pour sauvegarder leurs
intérêts à long terme. Si les « révolutions africaines » s’inspiraient du Moyen
Orient et de l’Afrique du Nord, les régimes despotiques soutenus aujourd’hui,
comme dans un perpétuel « containment des peuples » seraient vite emportés, et
les ressources des matières premières stratégiques pour l’Europe en général et
la France en particulier, seraient alors menacées.
La
gouvernance par la déstabilisation et le chaos croissant, les interventions
militaires et l’affaiblissement des Etats africains ne sont pas qu’un scandale
politique de trop longue durée : catastrophique pour les citoyens de l’Afrique
subsaharienne, cette fuite en avant perpétuelle est à terme contre productrice
pour les puissances occidentales, et l’influence française en particulier.
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