Une contribution de Dr Kouakou Edmond, (Juriste, Consultant)
Le 26 septembre 2013, la «
juge unique », Mme Silvia Fernandez de Gurmendi, a pris une ordonnance pour
programmer une audience le 9 octobre prochain, dans l’affaire « le Procureur c.
Laurent Gbagbo ». Cette initiative suscite divers commentaires. Et pour cause !
L’audience ne s’inscrit pas
dans le cadre de l’examen automatique de la détention intervenant tous les 120
jours. La dernière s’étant déroulée le 11 juillet, nous serons le 9 octobre
2013, à 90 jours. L’audience n’a pas été demandée par la défense du Président
Laurent Gbagbo, dont c’est pourtant l’intérêt plus que manifeste, et alors même
qu’elle en a la possibilité, à tout moment et qu’elle a mis un point d’honneur
à exploiter toutes les opportunités, y compris médicales, qui lui étaient
offertes. D’ailleurs, un appel est pendant, suite la dernière décision rendue
le 11 juillet 2013.
Non, cette fois-ci, l’audience est convoquée à l’initiative
de la « juge unique » elle-même, conformément à l’article 118 (3) du Règlement
de procédure et de preuve qui dispose que la Chambre préliminaire « peut,
d’office …, décider de tenir une audience ».
L’initiative paraît
d’autant plus curieuse, que, la « juge unique » qui a pris cette ordonnance,
s’est illustrée dans le maintien en détention du Président Laurent Gbagbo, sur
le fondement de motivations très contestables et parfois saugrenues, pour qui
connaît la personnalité du suspect. En effet elle ne s’est pas gênée de
prétexter le risque de fuite pour un homme qui a bravé les bombes de l’ONU et
de la France en 2011, qui est resté chez lui en novembre 2004, sachant que les
chars français avançaient vers sa résidence pour opérer un « coup d’Etat », et
qui, en visite officielle auprès du pape, lors de l’attaque de septembre 2002,
a insisté pour retourner dans son pays, alors même que son homologue français,
alléguant la grande insécurité qui régnait dans la capitale ivoirienne, l’en
dissuadait et lui offrait un « exil doré ». Elle a aussi invoqué la possibilité
de prise de pouvoir par les armes pour « l’enfant des élections » qu’est le
combattant de la démocratie ivoirienne et l’apôtre de la transition pacifique à
la démocratie, auteur de plusieurs ouvrages, au titre évocateur : pour une
alternative démocratique en Côte d’Ivoire ; agir pour les libertés ; bâtir la
paix sur la démocratie et la prospérité. Elle a même reproché sa popularité au
Président Laurent Gbagbo, un homme politique.
A cet effet, elle n’a pas hésité
à se référer à un rapport de mi-mandat controversé des experts de l’Onu, vivement
contesté par certains membres du Conseil de sécurité et dont certaines
affirmations ont été, par la suite, infirmées dans le rapport final.
Alors, qu’est-ce qui a bien
pu décider la bonne « juge unique » à programmer cette audience « pour recevoir
les observations sur la question de la liberté ou de la détention de M. Gbagbo
»?
Vers une liberté conditionnelle du Président Laurent
Gbagbo ?
Pour essayer de répondre à
la question, il convient de rappeler que dans sa décision du 11 juillet 2013
rendue à propos du 3e examen périodique de la détention, la Chambre
préliminaire 1, réunie au complet et non limitée à sa « juge unique », avait
envisagé la possibilité d’une « libération conditionnelle » du Président
Laurent Gbagbo, « en tenant compte du principe fondamental selon lequel la
privation de liberté doit être une exception et non la règle » et pour autant
que des conditions appropriées étaient trouvées pour réduire les risques liés à
cette libération. S’étant déclarée ouverte à un réexamen de la question, la
Chambre préliminaire 1 s’était proposée pour rechercher elle-même, les «
arrangements éventuels à la libération conditionnelle ». Puis, concluait-elle «
si cela devient nécessaire, la Chambre tiendra une conférence de mise en état à
cet effet ».
Les « conditions appropriées » sont-elles maintenant
réunies ?
Une question d’autant plus
judicieuse qu’il y a plusieurs mois, l’information d’un déplacement du greffe
de la Cpi dans un pays africain, pour vérifier ces fameuses « conditions
appropriées », avait fuité. Mais Mme la « juge unique », la compatriote de M.
Ocampo Moreno, l’ancien Procureur de la Cpi qui avait sollicité le mandat
d’arrêt contre le Président Laurent Gbagbo, ne les aurait, semble-t-il, pas
jugé solides.
Notons cependant que cette décision
du 11 juillet 2013 est intervenue après celle du 3 juin 2013, qui avait jugé
que les preuves sur la base desquelles le Président Laurent Gbagbo avait été
transféré à la Cpi, étaient insuffisantes, mais qu’une « séance de rattrapage »
devrait être offerte à la Procureure, compte tenu de la particularité de
l’affaire, pour en présenter de nouvelles. Les éléments de preuve encore en sa
possession ont d’ailleurs été transmis à la Chambre préliminaire depuis le 5
juillet 2013.
Dans le même sens, au Ghana,
les juges refusaient la demande d’extradition introduite par le régime de
Ouattara au sujet du ministre Koné Katinan, porte-parole du Président Laurent
Gbagbo, au motif que les accusations n’étaient pas fondées, et que ladite
demande n’était pas dénuée de motivation politique. Un premier juge, Ali Baba
s’était même lâché en pleine audience, en déclarant qu’« on ne peut pas porter
d’aussi graves accusations sur un citoyen et avoir autant de mal à apporter les
preuves ».
En réalité, le même constat
fait par les juges ghanéens et de la Cpi, est celui des observateurs de toute
cette odyssée politico-judiciaire mondiale, que le « préfet des lagunes » a
orchestrée sous l’influence maléfique de son mentor, Nicolas Sarkozy. Les
nombreux prisonniers politiques de Ouattara ne sont pas plus coupables que ses
ouailles qui ont introduit la violence politique en Côte d’Ivoire, mais qu’il
refuse de poursuivre, au nom de la « justice des vainqueurs ». C’est pourquoi
personne n’a été surpris d’assister à des vagues de libération, sans jugement,
des partisans du Président Laurent Gbagbo, dont la quasi-totalité de la
direction du front populaire ivoirien (FPI), après plus de deux ans
d’incarcération, puis d’entendre le régime Ouattara déclarer surseoir à
l’exécution du mandat d’arrêt de la Cpi contre l’honorable Simone Gbagbo.
Cette évolution peut être
attribuée à une meilleure perception de la crise ivoirienne. Les plus hautes
personnalités du monde n’ont pas hésité à exiger du régime Ouattara la
réconciliation nationale et la nécessité d’une justice impartiale : les
présidents de la Banque mondiale, du Fonds Monétaire International, de la
commission de l’Union européenne et le Pape. La France du Président François
Hollande s’est particulièrement illustrée sur ce front, en multipliant les
signes d’énervement devant la raideur de Ouattara, qui traîne les pieds,
misant, à coup de « valises », sur un retour rêvé de Nicolas Sarkozy aux
affaires. Les organisations des droits de l’homme n’ont pas été en reste,
interloquées, de constater un recul des droits et libertés en Côte d’Ivoire,
depuis l’accession au pouvoir du « Président reconnu par la communauté
internationale ».
Vers la création d’une cour pénale africaine par les pays
africains
Mais les pressions les plus
décisives sont certainement à mettre à l’actif de l’opinion publique africaine
qui s’est fortement mobilisée. Des articles de presse et des ouvrages ont été
publiés pour dénoncer l’imposture du transfèrement du Président Laurent Gbagbo
à la Haye. L’un de ceux-ci, « Laurent Gbagbo à la Cpi : justice ou imposture ?
» publié par l’harmattan, fait d’ailleurs l’objet d’une demande insistante de
traduction de la part des milieux diplomatiques et politiques. En Côte
d’Ivoire, le rejet du régime s’est manifesté à travers des taux d’abstention
record, consécutifs au boycott des consultations législatives et locales de
2011 et 2013. De plus, de nombreuses manifestations de soutien à Paris, à la
Haye, en Belgique et aux Etats-Unis ont réuni régulièrement les démocrates
ivoiriens et leurs camarades africains et d’autres pays, pour demander la
libération du Président Laurent Gbagbo. Le point d’orgue a été la marche
gigantesque dans les rues de Paris, le 28 septembre 2013, qui a mobilisé une cinquantaine
d’organisations africaines. Ce sentiment d’indignation devant la perversité
raciale de la Cpi a été traduit par le mouvement des africains français, dirigé
par l’écrivaine Calixte Béyala, à travers une pétition qui demande le retrait
des pays africains de la Cpi.
Quant aux dirigeants
africains, leurs initiatives ont répondu aux attentes de leur opinion publique.
A plusieurs reprises, l’Union Africaine (UA), s’est indignée de l’abus du
principe de compétence universelle dans certains États non africains (Belgique
par exemple). Elle a décidé de ne pas coopérer avec la Cpi dans la procédure
engagée contre le Président soudanais Oumar Béchir, tout en demandant au
Conseil de sécurité de l’ONU, de la différer. En outre, dès sa prise de
fonction en tant que Présidente de la Commission de l’Union africaine, Mme
Nkosana Zuma a adressé une lettre aux juges de la Cpi, pour leur expliquer que
la libération du Président Laurent Gbagbo était nécessaire pour la
réconciliation en Côte d’Ivoire. La décision prise par le parlement Kenyan de
demander à son gouvernement de se retirer de la Cpi s’inscrit dans le cadre de
ce mouvement d’indignation et de colère à l’égard de cette tendance qu’ont les
grandes puissances, non seulement à infantiliser les dirigeants africains, mais
aussi à réprimer ceux parmi eux qui leur résistent, sous le prétexte d’une
morale des droits de l’homme qu’ils sont les derniers à respecter. Le 13
octobre prochain, le sommet extraordinaire prévu par l’Union africaine pour
discuter du retrait des pays africains de la Cpi, pourrait, à juste titre,
approfondir ce mouvement de rejet.
D’ailleurs, l’initiative
prise par le Sénégal, en exécution d’un mandat de l’Union africaine, de juger
l’ancien Président tchadien, Hissein Habré, porte un coup sérieux à la
prépondérance de la Cpi, dans la répression des crimes contre l’humanité et
fonde les nouveaux espoirs des africains en la matière. Elle montre
l’engagement des Etats africains à lutter contre l’impunité, par le jugement
des cas de crimes graves de préoccupation internationale, en attendant la mise
en place prochaine d’une Cour pénale africaine, envisagée sous la forme d’une
section de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme, qui va naître
de la fusion de la Cour africaine des peuples et des droits de l’homme avec la
Cour de justice de l’UA. Ce pourrait être d’ailleurs une belle opportunité pour
donner une « définition du crime lié au changement anticonstitutionnel de
gouvernement ».
La Cpi peut-elle inverser la tendance au retrait des pays
africains ?
C’est donc dire que la juge
argentine a programmé son audience dans un contexte marqué plutôt par une forte
pression sur la Cpi. L’accusateur en chef, Ouattara, a perdu son soutien
international sur le dossier. Et vis-à-vis de la Cpi, il a, lui-même, amorcé un
rétropédalage à travers l’exception d’irrecevabilité soulevée à propos du
mandat d’arrêt de l’honorable Simone Gbagbo, découvrant, enfin, la souveraineté
judiciaire de la Côte d’Ivoire. Les juges ghanéens et de la Cpi ont démontré qu’il
n’y a aucune preuve au soutien des accusations fantaisistes de Ouattara.
L’image de la Cpi est au plus bas.
Dans ce contexte, la « juge
unique » va-t-elle continuer à prétendre que la popularité du Président Laurent
Gbagbo et ses soutiens politiques et financiers l’empêchent de bénéficier d’une
liberté provisoire, alors même que les Président et vice-président Kényans,
Uhuru Kenyatta et William Ruto, pourtant en procès, qui peuvent être crédités
des mêmes appuis, parce que élus par le peuple et disposant des moyens de leur
Etat, assistent librement aux audiences de la Cpi ? Pourquoi « deux poids, deux
mesures » ?
En tout état de cause, pour
avoir trop tiré sur la corde de l’imposture à travers sa « justice orientée »,
la Cpi n’a peut-être pas vu venir le coup. Mais, l’Afrique digne semble avoir
décidé, en toute souveraineté, de prendre ses responsabilités dans la lutte
contre l’impunité sur le continent. L’audience prévue le 9 octobre 2013, à
quatre jours du sommet extraordinaire de l’UA sur le retrait des pays africains
de la Cpi, pourra-t-elle permettre à la juridiction pénale internationale
d’inverser la tendance ? Tel est, en définitive, l’enjeu principal de cette
audience, pour lequel la Cpi pourrait offrir la « libération conditionnelle »
du Président Laurent Gbagbo comme une assurance de sa crédibilité retrouvée. Quel retournement de
l’histoire !
Source:
http://stevebeko.wordpress.com/
No comments:
Post a Comment