Par Hélène Quénot-Suarez
Une récente étude
d’Ernst & Young indique que 86 % des entreprises interrogées
qui ont déjà une activité en Afrique pensent que l’attractivité du continent va
encore s’améliorer ces trois prochaines années. Au contraire, seules 47 %
des entreprises qui n’y sont pas établies pensent que la situation africaine va
être de plus en plus favorable. Ces chiffres rappellent cruellement la
perception négative à laquelle le continent africain doit faire face auprès des
investisseurs.
De manière générale,
l’image du continent s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Nous sommes
passés – assez radicalement d’ailleurs – d’une vision extrêmement négative de
« continent perdu » à une vision de l’Afrique comme du « dernier
eldorado ». Ce changement de « paradigme » est visible dans la
presse avec des revues aux titres évocateurs : « Afrique
3.0 » ou« L’Afrique qui
bouge ». Ces dynamiques sont positives et devraient
permettre à tous les investisseurs intéressés d’investir plus facilement sur le
continent.
Un continent toujours perçu comme dangereux par les
entreprises françaises
Pourtant, les entreprises
françaises – et singulièrement les plus petites – peinent encore à s’installer
en Afrique et la perçoivent toujours comme un continent
« dangereux ». D’où vient cette fracture ? Il est évident que
l’Afrique présente des instabilités particulières, même dans les zones perçues
comme les plus « calmes » comme l’était la Côte d’Ivoire par exemple.
Par ailleurs, outre les risques politiques, les environnements sociaux et
juridiques apparaissent – souvent avec raison – comme complexes : sans soutien,
il est difficile de comprendre les dynamiques sociales d’un pays ou de faire
face à l’instabilité fiscale et juridique parfois prononcée. Investir est donc
une prise de risque pour laquelle les patrons se montrent frileux et les
banques encore plus.
Les patrons invoquent
également une baisse du soutien de la part des autorités françaises pour les
aider à s’installer dans les pays ou les conseiller pour les aspects légaux.
Cette plainte des patrons se base sur deux éléments. D’une part, le
« déclin » ressenti de la France sur le continent. De fait, entre
2000 et 2011, la part de marché de la France en Afrique subsaharienne a décliné
de 10,1 % à 4,7 %, indique le récent rapport Partenariat pour
l’avenir. D’autre part, la présence diplomatique française est en
baisse, avec des fermetures de missions économiques dans des pays pourtant très
dynamiques, comme le Ghana ou le Mozambique. Des entretiens menés fin 2013
tendent cependant à montrer que le « déclin » supposé de la présence
française en Afrique est plutôt une reconfiguration, ce que confirme le rapport
déjà cité : si les parts de marché françaises ont diminué, la valeur des
exportations françaises a, elle, doublé.
Dans les pays francophones,
la France était un acteur incontournable et incomparable en termes de présence
diplomatique, ce qui était un atout pour les investisseurs français, en
situation de force et bien soutenus par cette diplomatie très dynamique. Mais
l’environnement africain est devenu, en quelques années, très concurrentiel,
avec l’évidente arrivée des Chinois qui font maintenant jeu égal avec la France
dans les pays de la zone Franc, comme l’indique le rapport cité plus haut. Par ailleurs,
d’autres acteurs sont « arrivés » sur le continent, tant pour des
motifs économiques que diplomatiques et culturels. Ainsi, la Turquie, les États
arabes, le Brésil et bien d’autres obligent les acteurs
« traditionnels » à se repositionner.
Un déclin de la présence française à relativiser
La France est donc moins
visible. Mais sa présence demeure très supérieure à beaucoup d’autres
pays : on compte par exemple sur le continent 126 Alliances françaises dans 37 pays
différents, ce qui contribue à une diffusion privilégiée du
français auprès de plus de 80 000 étudiants. Même si des représentations
diplomatiques ferment ou sont reconfigurées – avec le sentiment parfois que
c’est contre-productif – les entreprises françaises ont encore beaucoup
d’atouts pour réussir sur le continent.
Il est vrai que
l’investissement en Afrique est complexe et que la structuration des PME
françaises, souvent beaucoup plus petites que les PME allemandes par exemple
représente un frein supplémentaire pour la prise de risque. Mais au-delà de ces
aspects, c’est peut-être la « fin » de la Françafrique économique qui
freine le plus les investisseurs potentiels. Comme si, pour investir, il
fallait une « stabilité » et une « sécurité » parfaites,
qui rappelleraient les temps coloniaux – fantasmés d’ailleurs. Si la relation
entre la France et de nombreux pays d’Afrique est encore privilégiée, elle
n’est plus exclusive. On ne peut que s’en réjouir. Mais, pour réussir, il faut
alors faire le deuil de cette « relation spéciale » et accepter, face
aux Chinois, aux Turcs, aux Coréens déjà présents, ce que finalement toutes les
entreprises prônent, sauf pour elles-mêmes : la concurrence.
Source:
afriquedecryptage.wordpress.com
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