par Théophile Kouamouo
L'article est du quotidien L'Intelligent d'Abidjan, daté du 9 mai 2011, et raconte ce qui tient lieu d'opération de réconciliation à Anokoua Kouté, village ébrié faisant partie de la commune d'Abobo. Le titre ? "Les Ebrié d’Anokoi demandent pardon aux FRCI et aux populations". Pourquoi s'humilient-ils ainsi ? Pour avoir le droit de retourner dans leur village. Qu'ont-ils donc fait, ces Ebrié, pour battre ainsi leur coulpe ? Extraits de l'article.
"Ceux-ci avaient fui leur village à la suite des affrontements avec des hommes armés basés à PK 18. Il était reproché aux habitants d’Anokoi d’avoir commis des exactions sur des populations notamment celles dont les noms sont à consonance nordiste. Face à la réplique, les habitants de ce village n’ont eu d’autre solution que de fuir leur village. Depuis lors, personne n’ose y remettre les pieds, par peur de représailles de la part de certains habitants de PK 18 dont beaucoup ont perdu des proches. Ayant pesé l’ampleur des actes commis par certains habitants d’Anokoi, la chefferie traditionnelle des villages Ebrié, aidée par l’ancien maire central du district d’Abidjan, N’koumo Mobio, a fini par réaliser qu’il faut revenir vers leurs anciens voisins et leur présenter des excuses. C’est dans cette optique que M. Koné Famoussa (responsable local de la coalition pro-Ouattara) a entrepris de sensibiliser ses frères et sœurs, notamment les militaires. Pour lui, il faut accepter le pardon. Quel que soit ce qui s’est passé. «Nous devons demeurer toujours des frères et des sœurs, comme l’a recommandé le président Alassane Ouattara», a-t-il insisté. «Acceptez vos frères Ebrié. Je vous demande pardon», a-t-il plaidé. Et, ce en présence de chefs militaires tels que le commandant Konaté Fré".
Ce récit totalement biaisé et d'un cynisme effroyable traduit bien la perception que le nouveau pouvoir ivoirien a de la "réconciliation" en Côte d'Ivoire. En réalité, il s'agit d'un révisionnisme permanent et d'une réécriture à marche forcée de l'Histoire, consistant à transformer les partisans de Ouattara en doux agneaux et les autres Ivoiriens en monstres bons à "rééduquer". Là où ce récit est emblématique, c'est qu'il fait passer les victimes d'un crime contre l'humanité caractérisé pour des bourreaux. Que s'est-il passé à Anokoi ? Extraits d'un rapport de Human Rights Watch, ONG généralement considérée comme très compréhensive vis-à-vis du camp Ouattara.
"Aux environs de 2 h du matin le 7 mars, plus de 60 combattants pro-Ouattara ont attaqué le village d'Anonkoua-Kouté, situé tout près de leur fief militaire d'Abobo à Abidjan. Anonkoua est un village habité principalement par des membres de l'ethnie Ébrié, qui soutiennent largement Gbagbo. La veille, il y avait eu des affrontements dans cette zone entre forces armées des deux camps. Des victimes de l'attaque du 7 mars ainsi qu'un combattant appartenant au camp Ouattara ont expliqué à Human Rights Watch que les forces pro-Ouattara pensaient que des armes avaient été laissées dans le village. Toutefois, les assaillants semblent avoir tué des civils au hasard et ont incendié une grande partie du village.
Human Rights Watch a interrogé quatre victimes d'Anonkoua-Kouté et a pu confirmer la mort de neuf civils, dont deux femmes qui ont été brûlées."
Ce sont donc les personnes dont le village a été incendié, qui ont été contraintes à l'exil interne, qui sont contraintes de demander pardon aux auteurs, je le répète, d'un authentique crime contre l'humanité. Quand les criminels sont dans le camp du "bien" proclamé par la communauté internationale, et les victimes du côté du "mal", il suffit, visiblement, de subvertir le mal en bien. Cette imposture morale n'est possible que parce qu'elle a été en réalité conceptualisée par la "communauté internationale", qui a imposé depuis plus de dix ans une fable simplificatrice campant le "bon" ADO face aux "mauvais" Bédié, Guei puis Gbagbo. Une "communauté internationale" qui, avec la presse qui lui est soumise, a diabolisé un camp et angélisé un autre... dont elle camoufle les méfaits aujourd'hui pour protéger ses propres forfaitures.
C'est ce qu'on est tenté d'appeler "la logique d'Anokoi" qui pousse les "communicants" d'Alassane Ouattara, à diffuser sur Internet, des images de prétendus "miliciens" pro-Gbagbo (parmi lesquels se trouvent plusieurs jeunes dont le seul tort est de déplaire à leurs voisins pro-RHDP ou dont ils ont piqué la copine), kidnappés depuis près d'un mois et parqués sur le terrain de tennis de l'Hôtel du Golf, à chanter les louanges du nouveau chef de l'Etat, une sorte de "bienfaiteur universel". Quand la logique de "l'allégeance" est poussée à l'extrême à ce point, l'on n'est pas loin des camps de redressements staliniens. La vidéo, pour ceux qui ne l'ont pas vue, où l'on voit un garde-chiourme battre la cadence avec son fouet très original.
Autre exemple de réécriture à marche forcée de l'Histoire. Sur la chaîne TCI, le porte-parole de Guillaume Soro, Léon Allah Kouakou a émis une drôle d'accusation. Il a affirmé que "la criminalité a atteint une proportion inquiétante avec la libération de tous les bandits et autres criminels de la MACA par l’ex-Président, Laurent Gbagbo". Pourtant, Ibrahim Coulibaly dit "IB", patron du commando invisible pro-Ouattara tué par ses alliés, avait, avant sa mort, dans un entretien à Jeune Afrique, assumé cette opération pour le moins irresponsable. Il a "libéré des prisonniers" parce qu'il devait "récupérer deux de mes hommes emprisonnés depuis plusieurs années", selon ses propres termes. Par ailleurs, dans une vidéo, le chef d'état-major adjoint d'Alassane Ouattara, Issiaka Ouattara dit "Wattao", reconnaît que des anciens prisonniers se trouvent parmi ses hommes et que ses hommes se livrent à des pillages dès qu'ils ne sont pas "cadrés" par les soldats français de l'opération Licorne. La vidéo.
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Comment comprendre ces "médiamensonges" qui auraient été faciles à démonter si la liberté de la presse existait encore en Côte d'Ivoire ? Leur justification politique me semble claire. Désorganisé, incapable de prendre les choses en main, handicapé par son mode de prise de pouvoir - l'instrumentalisation, depuis 2002, d'hommes en armes quasiment analphabètes, Ouattara a bien l'intention de rejeter au maximum tous les problèmes du pays sur son prédécesseur. Histoire, sans doute, de continuer à souder le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), ancien conglomérat de l'opposition dont le seul point commun était la détestation sans nuances du prisonnier de Korhogo.
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