L’irremplaçable Frantz Fanon, s’adressant aux Noirs en son temps, disait : «Chaque fois que vous entendez quelqu’un dire du mal des Juifs, tendez l’oreille, car il parle aussi de vous». Aujourd’hui, nous osons le paraphraser en soufflant, cette fois-ci, à l’oreille des Européens : «Quand on parle de l’Afrique, tendez l’oreille, on parle de ce qui vous attend…» Provocation ? Pas du tout. Il est vrai que de manière traditionnelle, nous observons les réalités mondiales en présupposant qu’il existe une sorte de voile étanche entre le Nord et le Sud, les nations riches et les pays pauvres. Quand nous évoquons l’économie de la France, nous la comparons naturellement à celles de l’Allemagne, de l’Italie et des Etats-Unis. Nous avons, sans nous en rendre compte, intégré le présupposé de Francis Fukuyama sur «la fin de l’Histoire», et nous partons du principe que les émeutes de la faim, les guerres et autres calamités ont définitivement déménagé. On ne saurait plus les trouver qu’aux marges du monde, et plus singulièrement en Afrique, «la vraie, la maudite, l’Afrique noire», comme le disait Albert Londres, un des pères du journalisme contemporain.
Et pourtant, les derniers développements de l’actualité devraient faire réfléchir les Européens, et les amener à tourner leurs regards vers «le continent de la moindre importance», selon l’expression du journaliste Stephen Smith, auteur de «Négrologie», pamphlet racialiste. Que vivent en ce moment des pays comme la Grèce ou l’Italie, si ce n’est tout simplement ce que l’Afrique a commencé à subir il y a un quart de siècle, c’est-à-dire les fameux plans d’ajustement structurel ? Brossons la situation à grands traits. Des pays extrêmement endettés, bannis par les marchés financiers, qui sont obligés d’adopter des programmes d’austérité, de faire subir une cure d’amaigrissement à leurs services publics, voire de les brader pour une poignée de cacahuètes à de grands groupes financiers. C’est ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou au Mali à la fin des années 1980 et au début des années 1990. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Grèce, en Italie, et demain en Islande, en Espagne voire en France. Comme hier en Afrique, les plans d’austérité européens se caractérisent par des licenciements massifs et des attaques en règle contre la classe moyenne, paupérisée mais au final incapable d’un sursaut organisé – hier ici, aujourd’hui là-bas.
Quand les peuples innocents paient l’addition
En Afrique hier comme en Europe aujourd’hui, la question de l’origine de la dette, de la responsabilité de l’endettement, a été et est escamotée par la «bien-pensance», alors qu’elle est centrale. Avec le recul historique, on peut analyser les programmes d’ajustement structurel des institutions de Bretton Woods comme une vaste tentative de sauver les dictatures africaines alliées de l’Occident et les réseaux transnationaux qui ont profité du prétexte de la guerre froide pour surendetter les pays-clients dans le cadre des projets mirifiques appelés les «éléphants blancs», qui ont alimenté bien des comptes en Europe. Les responsables du chaos ont pour la plupart été épargnés, et les peuples innocents ont payé l’addition. Aujourd’hui, un audit de la dette grecque est réclamé par des analystes sérieux et pourtant ignorés. «La dette publique contractée par les colonels grecs entre 1967 et 1974 est-elle légitime ? La dette publique contractée pour les J.O. d’Athènes de 2004, alors que les coûts initiaux ont été multipliés par 10 pour le plus grand profit des spéculateurs, est-elle légitime ? La dette publique contractée pour financer le plan de sauvetage des banques grecques en 2008 et 2009, dont le montant est, comme dans tous les pays européens, un véritable secret d’État, est-elle légitime ? La dette publique (les 140 milliards de prêts de l’UE et du FMI), contractée en 2010 et 2011 pour sauver les grandes banques européennes de la faillite, est-elle légitime ? L’augmentation des déficits publics et donc de la dette publique, due au refus de diminuer le montant des dépenses d’armement pour satisfaire les marchands de canon américains et européens, est-elle légitime ?», s’interrogent ainsi Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche dans une tribune publiée par le site Internet de l’hebdomadaire français Marianne.
En Afrique hier, et en Europe aujourd’hui
En Afrique hier, et en Europe aujourd’hui, les crises financières sont, pour la nébuleuse que l’on appelle très évasivement «les marchés», des occasions d’imposer ses hommes à la tête des gouvernements des pays affaiblis. Hier, les «technocrates» ayant fait carrière au sein des institutions de Bretton Woods étaient imposés comme Premiers ministres dans plusieurs pays africains. Comme la Côte d’Ivoire, où Alassane Ouattara a fait son irruption sur la scène politique, devenant le premier et le seul chef de gouvernement sous le «roi» Houphouët-Boigny, bradant les entreprises publiques, fermant les internats, diminuant les salaires des enseignants, faisant payer aux pauvres la mauvaise gouvernance d’une nomenklatura qu’il a vite fait d’intégrer en épousant la patronne de l’agence immobilière des «biens mal acquis». Aujourd’hui, on évoque l’OPA des «hommes de Goldman Sachs» sur l’Europe politique, alors que cette banque a été en première ligne dans la spéculation contre l’euro.
Les Européens sont prévenus. L’ajustement structurel n’est que le début de la soumission politique à la «gouvernance mondiale», qui n’est rien d’autre qu’une tyrannie planétaire expérimentée pour l’instant en Afrique. Hier, on déniait à la Côte d’Ivoire le droit de décider, par référendum, de modifier (ou pas) sa Constitution pour permettre à Alassane Ouattara d’être éligible à la présidence de la République. Aujourd’hui, on trouve inadmissible que les Grecs puissent décider, par référendum, des options économiques de leur gouvernement. En Grèce comme en Italie, les nouveaux Premiers ministres sont accusés d’avoir été imposés par les marchés et l’Union européenne, notamment le couple franco-allemand, à leurs peuples. En Afrique, combien de chefs de gouvernement, combien de chefs d’Etat, ont-ils donc été imposés par les moyens du chantage, de la rébellion armée et de l’asphyxie financière ? De nombreux Européens, y compris de gauche, n’ont vu dans la très longue guerre ivoirienne que la manifestation de conflits ethniques sauvages, ou de «l’ivoirité», et ont applaudi l’arrivée sanglante au pouvoir de Ouattara comme une sorte d’épiphanie. Demain, ils expérimenteront, chez eux-mêmes, et de manière tragique, les mécanismes de manipulation de l’identité et de «diabolisation du dissident» mis en œuvre pour exclure du jeu politique ceux qui refusent de plier l’échine face au «Grand Jeu ».
je recommande cet article à tous mes amis et mes opinions sont en osmose complète avec cette analyse.
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