Wednesday, 3 August 2011

100 jours de Ouattara: vers un nouvel ordre juridique?


Par Honorat Djanwe
L’Etat de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. L’Etat de droit, c’est un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal de règle figure la Constitution, texte qui fonde l’organisation de l’État et qui garantit le respect des droits fondamentaux des personnes.
Le garant, le premier protecteur de cette Constitution est le Président de la République. Ouattara s’étant fait investir le 6 Mai 2011 comme Président de la République, c’est donc naturellement à lui que revient plus qu’à quiconque la responsabilité de protéger la Constitution et de la respecter.
Après un peu plus de trois mois d’exercice du pouvoir par Ouattara, quel bilan s’impose à l’examen de la réalité en matière de respect de la loi fondamentale? Les décisions prises par Ouattara sont-elles en conformité avec la Constitution, participent-elles au renforcement de l’État de droit?


Mais avant de dresser un bilan des cent jours de Ouattara en matière de respect des lois, revenons quelque années en arrière, plus précisément en Septembre 1995 pour savoir sa position concernant l’État de droit et le respect des lois quand il décidait de ne pas participer à l’élection présidentielle de Octobre 1995. A Lyad Liaman dans Jeune Afrique du 28 Septembre 1995, n° 1812, où il expliquait les raisons de son choix, il disait ceci:
« Le nouveau code électoral ne me permet pas d’être candidat. Et comme je suis attaché à la légalité, il ne m’est pas possible de faire acte de candidature. Je ne peux pas violer la loi […] Je crois profondément à l’État de droit. Il ne peut pas se construire du jour au lendemain. C’est un processus qui commence souvent par des lois qui ne sont pas acceptables, des lois votées par des parlements qui ne sont pas représentatifs. Mais il faut essayer de contribuer à la construction de l’Etat de droit et, pour cela, il faut appliquer la loi jusqu’à ce qu’on puisse la changer ».
“Dura lex, sed lex”. Voila en substance la position de Ouattara sur l’État de droit.
16 ans après, il est Chef de l’Etat et jure lors de sa prestation de serment le 21 Mai, de défendre la loi fondamentale et d’œuvrer au renforcement de l’Etat de droit. 16 ans après, en matière de respect de la Constitution, Ouattara et ses collaborateurs posent des actes qui s’éloignent dangereusement de l’esprit et la lettre de la loi fondamentale.
Constatons avec quelques articles:
- ART. 22 portant sur les conditions de détention
En substance [l'article affirme que] nul ne peut être arbitrairement détenu.
Constat: arrestations à relent politique et non encadrées par la loi, donc arbitraires. Les délits sont recherchés après les incarcérations. On pousse l’absurdité jusqu’à arrêter un fils parce qu’il est aux côtés de son père (« délit de parenté » évoqué par Ahoussou Jeannot sur le cas Michel Gbagbo)
- ART. 24 portant sur les conditions de défense de la Nation et de son intégrité.
Il stipule que la défense de la Nation est assurée exclusivement par des forces de défense et de sécurité nationales dans des conditions déterminées par la loi. C’est pour être en conformité avec cet article que le régime Gbagbo avait lancé un appel pour l’enrôlement dans l’armée à ces milliers de jeunes désireux de défendre leur patrie attaquée. Cela s’est fait en 2003 et en 2011.
Constat: Police, gendarmerie, armée inexistantes. En lieu et place nous avons des milices informelles non recensées et non rémunérées par l’Etat. Le pays est divisé en “satrapies” et géré par “les diadoques” des temps modernes.
- ART. 25 portant sur l’inviolabilité des biens publics.
Constat: Pillage des biens publics (Présidence, bâtiments administratifs,Universités…), “privatisation”des véhicules et bâtiments de l’Etat par les satrapes de Ouattara.
- ART. 39 portant sur l’expiration des pouvoirs du président en exercice
[Celle-ci] n’intervient qu’à la date de prise du pouvoir du Président élu, laquelle a lieu dès la prestation de serment.
ConstatAlassane Ouattara a affirmé lors du sommet de Deauville, à sa conférence de presse que Laurent Gbagbo a cessé d’être Président le 04 Décembre 2010, alors qu’il a prêté serment le 06 Mai. Ce qui est en contradiction avec la Constitution qui ne prévoit en aucun cas, de vide constitutionnel.
- ART. 68 portant sur l’immunité parlementaire
Constat: Mise au arrêt de nombreux députés après le 11 Avril 2011, dont la présidente du groupe parlementaire FPI Simone Gbagbo.
- ART. 75 portant sur la question de la prise des ordonnances
Constat: Depuis sa prise de pouvoir Alassane Ouattara prend des “ordonnances” qui ne sont ni autorisées ni ratifiées par l’Assemblée Nationale. Elles ne sont encadrées par aucune loi d’habilitation.
- ART. 85 portant sur la ratification des Traités et Accords internationauxqui impactent sur les lois internes de l’Etat
Constat: La décision de l’Union Africaine faisant de Ouattara le Président de la République n’a pas été ratifiée par le vote d’une loi au parlement. Ouattara qui dit qu’il considère que le mandat des députés a pris fin avec celui du Président Gbagbo Laurent et son Garde des Sceaux qui prétend lui que la résolution 1721 a dissout le Parlement. Dans les deux cas il y soit une méconnaissance, soit un mépris manifeste de la loi fondamentale.
- ART. 88 se rapportant au jugement de la constitutionnalité des lois par le Conseil Constitutionnel
Constat: Alors que le Conseil Constitutionnel en tant qu’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics, a dans un arrêt, tranché la question de la pérennité du pouvoir législatif jusqu’aux prochaines élections, Ouattara, lui décide le contraire.
- ART. 89 portant sur la composition et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel
L’article dit en substance que le Conseil Constitutionnel se compose d’un Président; des anciens Présidents de la République, sauf renonciation expresse de leur part. Selon le même article 89, parmi « les six conseillers qui composent avec le président, le Conseil constitutionnel, 3 sont désignés par le président de la République et les trois autres par le président de l’Assemblée nationale. Sur ces six conseillers, 3 sont nommés pour six ans et les trois autres pour 3 ans. Mais le président du parlement doit avoir parmi les nommés pour six ans, un de ses proposés et parmi les nommés pour trois ans deux de ses proposés. »
Constat: Ayant mis fin aux activités parlementaires, sous le fallacieux prétexte que le mandat de l’Assemblée Nationale est arrivé à expiration, Ouattara nomme de façon unilatérale de nouveaux membres du Conseil Constitutionnel, mettant ainsi fin au mandat des précédents, nonobstant le fait qu’il coure encore.
- ART .90, 91,92 portant sur la composition, l’organisation, et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel
Constat: Le 25 juillet, au mépris de toutes les lois sur la composition, l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, Ouattara procède à la nomination de Wodié Francis comme président de la dite institution en remplacement de Paul N’dré nommé le 8 août 2009 pour six ans et dont le mandat coure donc jusqu’en 2015.
- ART. 93 qui dit ceci: « aucun membre du Conseil Constitutionnel ne peut, pendant la durée de son mandat, être poursuivi, arrêté, détenu ou jugé en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation du Conseil. »
Constat: En tant qu’ancien Président de la République, Laurent Gbagbo est membre de plein droit du Conseil Constitutionnel depuis le 6 Mai dernier. Il est donc arrêté, déporté et détenu par Ouattara et ceci en violation flagrante de la Constitution.


- ART. 109: Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et traduit devant la Haute Cour de justice qu’en cas de haute trahison.
Constat: Dans leur conférence de presse du 21 Juin 2011, le Garde des Sceaux et le Procureur de Ouattara ont décidé de faire passer Gbagbo Laurent devant une Cour d’Assises, et non devant la Haute Cour de justice.
- ART. 114 qui stipule que: « La composition du Conseil Economique et Social et les règles de son fonctionnement sont fixées par une loi organique ». L’Assemblée nationale a voté le 5 Juin 2001, une loi organique qui précise en son article 4 que « le bureau du Conseil Economique et Social est élu par le conseil et comprend : un président, six vice-présidents, six secrétaires et deux questeurs ». L’article 5 de cette même loi organique précise que « le Président du Conseil économique et social est élu pour (5) ans au scrutin uninominal majoritaire à un tour ».
Constat: Ouattara nomme Zadi Kessy, Président du Conseil Economique et Social, une institution à la laquelle il n’appartient pas au mépris de la loi qui prescrit que le Président du Conseil Economique et Social doit être un conseiller économique et social et donc avoir été nommé au même titre que ces pairs par décret du Président de la République.
Alors que Laurent Gbagbo a posé des actes en matière de renforcement de l’État de droit et de respect de la loi fondamentale, Alassane Ouattara au contraire nous éloigne dangereusement de notre Constitution, et de l’État de droit eu égard à ses agissements.
Sous les cent jours de Ouattara, nous assistons au viol quasi quotidien de la Constitution. Tout ce passe comme si rien en matière de règles, de lois régissant, le fonctionnement d’un État, et les rapports humains dans une société n’existait avant son arrivée au pouvoir.
Ouattara a inscrit ces cent jours dans une logique de dépeçage en règle de la Constitution et des lois de la République, tant les manquements à la loi fondamentale sont légions.
Au regard des agissements de Ouattara, ne sommes-nous pas aujourd’hui dans une situation de dissolution de fait de la Constitution et de mise en place d’un nouvel ordre juridique, qui pourrait se résumer à: Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire, la loi c’est lui?
In Penseenoires.info

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