Tuesday, 2 August 2011

A contre-courant de l'Histoire

Par Sylvie Kouamé
Si l’on en croit les idéologues officiels du régime Ouattara, la Côte d’Ivoire devrait se réjouir comme un seul homme. Et pour cause: notre bien-aimé Chef d’Etat est allé aux Etats-Unis où il a rencontré –accompagné de trois autres de ses pairs francophones, avec qui il était convié au sommet du G8 – Barack Obama. Dans le bureau ovale! Des “pluies de milliards”viendront donc du pays de l’oncle Sam. Elles nous sauveront de nos propres turpitudes, notamment de la faillite programmée de notre économie, elle-même liée à neuf ans de guerre sauvage pour le pouvoir et à la destruction systématique de l’outil de production national par qui nous savons.

Sauf que… il y a un hic ! Le président de la première puissance mondiale a reçu ses homologues africains alors qu’il était tourmenté lui-même par une question qui angoisse toutes les places du marché du monde développé. Celui du “plafond de la dette” américaine. Les parlementaires américains s’étripent autour de cette thématique. Les Démocrates veulent que le montant maximum de l’endettement américain, déjà relevé huit fois en dix ans, remonte encore. Ce n’est en effet qu’en “prenant crédit” que l’Etat central peut payer ses différentes charges. Les Républicains, adversaires d’Obama, exigent qu’en contrepartie, des économies substantielles soient faites – que certaines dépenses, notamment sociales, soient annulées. Cette polémique – qui se règlera sans doute dans les heures qui viennent – témoigne en tout cas de l’état économique des Etats-Unis. Elle montre la première puissance mondiale telle qu’elle est. Une nation financièrement essoufflée, tenue en laisse par ses créanciers – notamment les très économes Chinois, premiers détenteurs des bons du Trésor américain.
En gros, ceux qui nous prêtent de l’argent en empruntent eux-mêmes massivement auprès de pays plus liquides. Nos “sauveurs” cherchent eux aussi à être sauvés. L’Occident est en crise. Et si les Européens ont tout mis dans la balance pour que la Française Christine Lagarde succède à Dominique Strauss-Kahn, c’est parce qu’ils espèrent que l’institution sera plus compréhensive envers ceux d’entre eux qui “mériteraient” un programme d’ajustement structurel aussi violent que ceux auxquels l’Afrique a été soumise. La Grèce, puis le Portugal, puis l’Espagne… et demain l’Italie ou la France?
Sur le “vieux continent”, l’effet contagieux de la “misère du monde” va du Sud vers le Nord. Avec d’autres indices, il témoigne d’un changement des équilibres économiques mondiaux. Au détriment de l’Occident. Au profit des pays émergents que sont la Chine, l’Inde, le Brésil et dans une moindre mesure la Russie et l’Afrique du Sud. Les Ivoiriens, aveuglés par leurs querelles autochtones, ne peuvent pas ne pas voir ce mouvement de fonds mondial. En réalité, la guerre que nous avons vécue et la reprise en main brutale qui va jusqu’à l’installation à la Présidence d’un conseiller économique français chargé officieusement d’orienter au “bon endroit” un peu de “gras”, témoigne de la tentation occidentale d’instrumentaliser la seule supériorité intangible qui lui reste – la supériorité militaire – pour se faire “respecter” dans la jungle des échanges économiques internationaux. Et pour garder quelques marchés captifs. L’invasion de la très lucrative Libye, sous le faux nez d’un Conseil National de la Transition (CNT) fantoche, relève de la même logique implacable.
Le temps d’Houphouët-Boigny ne reviendra donc jamais. La Françafrique traditionnelle a prospéré pendant l’époque des “trente Glorieuses”. Elle était une relation de sujétion stratégique entre un pays riche ayant encore les moyens de sa politique et un “dominion” sous-peuplé et doté de richesses encore inexploitées. Aujourd’hui, nous avons en face de nous les responsables politiques de nations déclassées qui doivent résoudre leurs problèmes chroniques de dette et de compétitivité, et qui veulent se rassurer en faisant des “coups” vite rentabilisés. Or, pour créer les conditions d’une croissance qui peut relever le défi de notre poussée démographique, il nous faut autre chose que des “grands-frères” voulant nous recoloniser pour s’en sortir eux-mêmes.
La Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, qui assume jusqu’à la caricature sa sujétion à la “communauté internationale” occidentale, va clairement à contre-courant de l’Histoire. L’Afrique doit aujourd’hui relever le défi de la stabilité de ses Etats – ceux qui nous dirigent actuellement n’ont cessé de déstabiliser l’Etat quand ils étaient dans l’opposition et s’appuient aujourd’hui sur leur statut de “chouchous” de l’Occident pour refuser de faire les gestes qui renforceront la cohésion nationale. Donc, forcément, la solidité des institutions.
L’Afrique, convoitée pour ses richesses, doit se battre pour sa souveraineté, seule gage de multipartenariats fructueux pour elle. Parce qu’il bénéficie pour l’instant du soutien de la France, Alassane Ouattara réclame le maintien du 43ème BIMA jusqu’à prétendre, devant des journalistes français, que l’Algérie – où l’Occident mène la guerre contre les Islamistes – est à nos portes. Les choses sont pourtant claires. A ce moment précis de l’évolution de l’histoire, un dirigeant africain ne peut à la fois enrichir son peuple et complaire à l’Occident. Il faut choisir. Alassane Ouattara a choisi, et son choix est connu de tous. Nous lui souhaitons bien du courage.
In le nouveaucourier 

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