PAR OUSMANE FALL
« Seul le travail paie! ». Les Africains semblent n’avoir pas compris la profondeur de cette maxime qui a fondé le développement individuel et collectif des grandes nations. Lorsque l’on remonte le fil de la construction des nations les plus avancées sur la planète, Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, France, Italie, Japon, Allemagne, Russie, l’on s’aperçoit aisément qu’il n’y a pas eu de répit dans leur élan de bâtir la richesse et améliorer les conditions de vie des populations sous l’instigation de leurs gouvernants, aux régimes différents mais aux ambitions similaires pour la destinée de la patrie. Tout ce qui forge actuellement leur suprématie repose en grande partie sur la vertu du travail. La révolution industrielle en Angleterre, la révolution française, la conquête de l’Ouest américain… sont autant d’exemples qui témoignent que « c’est l’homme qui donne avant tout un sens à sa vie ».
Mieux, cet attachement au travail est des plus affirmatifs dans ces nations dites nanties d’autant plus que des pays émergents – l’Inde, la Chine populaire, la Corée du Nord, Taïwan, Singapour, Malaise – se servent du même tremplin pour prendre les devants. Un séjour, même bref, dans ces contrées invitent à admettre cette évidence. Les nuits sont aussi activent dans les bureaux et les chantiers que les jours. « Ceux qui sont devant ne perdent pas une seule occasion pour progresser davantage, ce sont les derniers qui passent leur temps à s’amuser », serait-on tenté de caricaturer.
Ceux qui accusent un retard criant s’adonnent pourtant aux inutilités, aux futilités. L’amusement dépasse l’ouvrage et englue tout décollage social, économique et politique dans le désespoir. Les habitants du continent hésitent à réaliser que seul le travail est source de richesses. Ils assistent avec une passivité aberrante à cette lutte acharnée. Le secteur privé du continent ne parvient pas à supporter l’ensemble des chercheurs d’emplois que les administrations publiques remplies d’une bande de « j’attends impatiemment et inconsciemment la fin du mois » n’arrivent pas à insérer dans leurs rangs.
Cette triste réalité inhibe les attentes des populations rurales laborieuses et les espoirs que la communauté internationale place au continent noir. Bien que des habitants soient convaincus que les Américains, les Européens et les Asiatiques ne dorment pas, ils n’entreprennent rien pour s’aligner derrière leur dynamique. L’Afrique reste le creuset de l’amusement. L’on s’extasie à trouver des échappatoires à cette paresse destructrice en la démocratie dont l’expression ne présente pas cette facette retardant dans les pays d’où ce modèle a été importé. La notion de liberté semble avoir été mal comprise.
Dans la plupart des centres urbains du continent, « le temps n’est pas encore de l’argent » et en milieu rural, ce sont les hommes qui jouent aux nurses ou se baladent de cabaret en cabaret, abandonnant les champs aux femmes et aux enfants, pour après revendiquer le contenu du grenier sans compter les innombrables jours fériés.
Il est écœurant de se souvenir que la Côte D’Ivoire et le Ghana étaient au même niveau de développement que la Corée du Sud ou la Malaisie dans les années 1960. De l’improductivité globale notoire du continent résulte en grande partie son sous développement. Et l’on se demande qu’est-ce-qui aurait pu être aujourd’hui présenté comme esquisse du développement dans certains Etats africains s’il n’y avait pas eu certaines infrastructures favorisées par les travaux forcés. Passés l’étape de l’accession successive à l’indépendance, les Africains ont mal compris la conduite de leur propre destin. Il y a eu plus de repos, dans les bars ou dans les dancings pour s’abreuver ou danser, aux abords des artères pour applaudir le départ ou l’arrivée des chefs d’Etat que de se mettre à l’ouvrage.
Toutes les tentatives pour susciter un élan de prise de conscience visant à renverser la tendance ont été noyées dans un amalgame de complots internes et externes. Aujourd’hui encore, de nombreux pays africains sont là encore à ressembler au Zaïre des années 1970 où Mobutou Sésé Séko a enchaîné, dans une joie aveuglante, ses compatriotes avec un orchestre au mètre carré. Nombreux sont les dirigeants, en manque d’arguments plausibles pour donner espoir à leurs concitoyens, qui perpétuent en toute sournoiserie cette méthode douce d’asservissement. Peut-être la décision du régime d’Alassane Dramane Ouattara de raser la fameuse “Rue Princesse” d’Abidjan, bastion de l’insouciance, participe de cette volonté de recentrer la population dans son rôle constructeur. Le fatalisme a si dangereusement pris le dessus que les bonnes initiatives butent parfois sur une non participation involontaire.
Au moment où l’aide publique se tarit, où de grands partenaires techniques et financiers sont, eux aussi, confrontés à des situations d’endettement, le continent noir devrait faire preuve d’un sursaut d’orgueil et sortir du carcan de désespoir qui semble envahir ses habitants dans leur immense majorité. La jeunesse, à laquelle l’universitaire camerounais, Achille Limbé, a lancé un appel pour prendre courageusement son destin en main et tracer avec sérénité les sillons de l’avenir du continent, semble désemparée et avoir les oreilles bouchées. La désespérance tout azimut prend malheureusement le pas sur ses ambitions. Il y a tellement de quoi s’occuper de façon lucrative en Afrique qu’il est impossible de se taire devant les suicides volontaires et collectives dues aux immigrations clandestines. Cette fugue puise la source de son ignominie dans la déliquescence de l’Etat et en partie dans le choix de la courte échelle par une frange de la jeunesse. Une chose est de blâmer le gouvernement pour son incapacité à trouver les solutions idoines pour résorber le chômage et le désœuvrement.
Une autre est d’admettre qu’il est impossible de trouver un emploi à chaque chômeur. En cela, la jeunesse peut amener les systèmes de gouvernement à se plier à sa volonté d’auto-détermination pour peu qu’elle mette un bémol sur la façon actuelle dont on la traite et décide de prendre ses responsabilités pour fléchir les dirigeants qui ont perdu le souci de son avenir.
L’amour du travail, le goût de l’entreprenariat, la culture du sens de la responsabilité, la primauté de l’intérêt général, la construction du bien-être individuel et collectif sont autant de valeurs qui manquent aux Africains. Celles-ci sont en aval de la démocratie et de la formation qui bâtissent un cadre propice à la réalisation de l’idéal commun du développement. Bien de diplômés et de formés préfèrent s’adonner à la bamboula que de s’occuper ou de chercher réellement un emploi. Chacun réclame le progrès mais personne ne veut s’investir pleinement. Il n’y a point de lueur de développement pour une nation paresseuse. C’est vrai que l’environnement sociopolitique et économique contribue énormément à affaler les individus. Etant donné que les ressortissants du continent font preuve d’une abnégation extraordinaire dès qu’ils sont hors de ses frontières ou employés dans de grands groupes. Mais le plus souvent, le sacrifice, l’imagination et l’ingéniosité manquent à l’appel.
Plus de cinquante ans après la conquête, à cors et à cris, de la souveraineté nationale et internationale, célébrée chaque année, avec tambours et fanfare, les Africains n’ont pas encore pleinement pris toute la mesure du prix à payer dans la conduite du destin en toute liberté. De la campagne à la ville, l’on feint d’être un travailleur, amoureux des pauses de 10 heures, de la sieste et des retards au boulot. Adeptes des revendications et réfractaires au moindre sacrifice. Il y a quelques années, l’astronaute et président de Microsoft Afrique, Cheick Modibo Diarra, s’est montré ahuri en voyant de jeunes aux bras valides dans les rues de Ouagadougou pendant que leur pays regorge d’immenses aménagements hydro-agricoles inexploités.
Et la plus grande honte qui se prête à l’Afrique est bien sûr son incapacité à pouvoir sortir de ses terres fertiles assez de nourriture pour penser la famine sous laquelle ploie sa population.
De grandes firmes et des pays lointains au continent y accourent pour acheter des milliers d’hectares afin de les exploiter à des fins commerciales pendant qu’une grande partie d’Africains aux bras valides continuent de subir les affres de la sous alimentation et de la malnutrition. Cet autre bradage apparaît une insulte après le marchandage honteux des entreprises publiques et des ressources naturelles. La paresse s’érige en règle favorisée par un contexte de dirigisme avilissant dans lequel les leviers du développement perdent leur priorité devant un luxe insultant toute conscience de pays pauvre. Du coup, dans les campagnes et les villes, les bras valides se rendent invalidants. L’exode rural bat son plein. Même en milieu rural, de plus en plus, les hommes abandonnent les champs aux femmes pour sillonner les marchés.
Tandis que dans les grands centres urbains, la majorité compte sur la minorité affairée ou sur la providence. La débrouillardise est attisée par un instinct de survie. L’Afrique paresse, ses habitants se bornent au strict minimum et dorment. Et la reprise en main de leur destin qui ne peut s’accomplir que par le travail se fait toujours entendre. Après avoir réalisé leur plus grand miracle, la souveraineté alimentaire acquise grâce à sa capacité de nourrir ses 1,3 milliards d’habitants, la Chine populaire s’est dessinée une étoffe de première puissance mondiale et elle ne se donne aucun répit pour atteindre cette vision. Et l’Empire du Milieu ne doit pas ce salut à l’agrobusiness mais aux exploitations familiales qui ont produit des résultats à force d’ardeur et de foi en la terre. Le savoir faire, l’expertise, la richesse et le bien-être s’acquièrent au gré du travail. Or les Africains sont de gros paresseux. Pour mettre l’Afrique sur les rails, il faut œuvrer à ce que ses habitants empruntent inlassablement le chemin du travail.
Article initialement publié sur lefaso.net
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