par Germain Séhoué
Le 20 octobre 2011. Ce jour sera une date des plus inoubliables dans les annales des relations internationales. L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), l’instrument de feu de l’Occident, est parvenue à sa fin en réussissant à faire tuer le Guide libyen Mouammar Kadhafi. Et la France a revendiqué sans le dire clairement «cet exploit». Car M. Gérard Longuet, ministre français de la Défense, a précisé dès ce jeudi soir “qu'un avion français avait stoppé la progression du convoi” du Guide. Mais l’explosion de joie des dirigeants occidentaux et leur scène de jubilation relative à cette mort atroce d’un dirigeant politique africain, montrent combien face à leurs intérêts, la morale n’a pas sa place. On avait vu, dès la chute de Tripoli, l’empressement des puissances occidentales, avec à leur tête l’éternelle France, engagées dans la traque contre le Guide de la révolution libyenne, à se partager le pétrole du pays. Sur le dossier libyen, l’Occident a littéralement humilié l’Afrique, montrant l’insignifiance de l’Union africaine (Ua) et le peu de considération qu’il lui voue.
A l’occasion du passage du Procureur de la Cpi, Luis Moreno Ocampo, à Abidjan, pour les préliminaires d’une enquête sur la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, le Front populaire ivoirien (Fpi) avait dénoncé le rôle de chicotte de cette autre organisation occidentale contre l’Afrique : «L’Afrique qui semble être le point focal de son fonctionnement et de son rayonnement l’a déjà décriée, au plus haut niveau, par son instance suprême, l’Union africaine (Ua). En effet, à deux reprises, dans les affaires contre les Présidents Omar El Béchir et Mouammar Kadhafi, l’organisation africaine a appelé les Etats africains à ne pas coopérer avec la Cpi”. Suivant une déclaration faite par le Président de sa Commission exécutive, M. Jean Ping, l’Ua. a même annoncé la création d’une Cour Africaine de Justice criminelle, en lieu et place de la Cpi. C’est encore M. Ping qui a déclaré au Procureur Ocampo: «Please Mr. Ocampo, you are not a joke! Please you are a prosecutor!». Malheureusement, Kadhafi vient d’être tué. Sauvagement. Et l’Union africaine qui, à l’égard de la Cpi, a semblé avoir un sursaut d’orgueil et de virilité, s’est nettement effacée face aux bombardements de l’Otan en Libye.
La grande question est donc de savoir aujourd’hui, si l’Ua sert à quelque chose aux peuples africains. Comment peut-elle laisser le voisin venir semer la mort dans sa cour, tuant ses enfants sans qu’elle ne bronche ? Kadhafi a passé 42 ans au pouvoir. Est-ce trop ? Oui, c’est même exagéré. Mais est-ce pour cela qu’il a été tué ? Non. Il a été tué pour être remplacé par des hommes disposés à brader le pétrole libyen aux Occidentaux. Il ne s’agit donc pas tant d’une soif de démocratie, mais une volonté de changer le régime pour satisfaire des intérêts impérialistes. Dès lors, l’argument de la trop grande longévité de Kadhafi à la tête de la Libye ne peut tenir que pour ceux qui veulent noyer le poisson. Parce qu’il n’est pas le seul dirigeant africain à dépasser plus de vingt ans au pouvoir. Mais les autres (Feu Bongo, Sassou NGuesso, Blaise Compaoré, Paul Biya, etc.) doivent leur stabilité à leur «coopération gagnant-perdant» avec l’ancienne puissance coloniale, la France.
Car si l’on ne peut nous perturber sur le dossier libyen, c’est bien parce qu’il n’a rien à voir avec le printemps arable contrairement à la cosmétique qui se fait pour distraire l’opinion. En Tunisie et en Egypte, c’est effectivement le peuple qui s’est soulevé contre une dictature. C’est pourquoi il n’y avait pas de leaders précis et vraiment détachés pour conduire la révolution, mais toute une masse de jeunes, de travailleurs, qui avaient soif de changement. De même le peuple qui s’est soulevé, l’a fait, pas grâce à la volonté de démocratie de la France ou de l’Occident, mais au contraire, contre deux régimes pro-français. Et on se rappelle que pendant que la tension montait à Tunis, la 20e ministre des Affaires étrangères de la Ve République, ministre d'État, ministre des Affaires étrangères et européennes, Michèle Jeanne Honorine Alliot-Marie, trinquait le champagne dans l’avion avec un ami proche du pouvoir vomi par le peuple tunisien. Elle quittera le gouvernement sur la pointe des pieds à cause de cette affaire. Or, le Conseil national de transition libyen (Cnt) qui a déclaré la guerre à Kadhafi, n’est pas un mouvement spontané du peuple qui serait véritablement maltraité, même s’il y a eu des maltraités, mais une fabrication totalement française - une rébellion comme elle sait en fabriquer-, pour chasser un homme et le remplacer par un autre, coopératif.
Nous ne voudrions pas confondre la guerre des intérêts que mènent les Occidentaux contre les régimes souverainistes africains pour limiter leurs déséquilibres économico-financiers et la lutte pour la démocratie qui serait vraiment noble. Et lorsque le schéma est si clair et que l’Union africaine semble tétanisée, laissant des organisations étrangères venir déstabiliser le continent, avec les applaudissements d’Africains n’ayant pas encore pris la vraie mesure des enjeux, on ne peut qu’être triste. Car si Kadhafi est dictateur dans son pays, en tant que tel, il a fait pour son peuple en termes de développement social et de bien-être, mieux que des démocrates Prix Nobel. Mouammar Kadhafi est mort. L’Occident jubile, mais voilà l’Afrique plus humiliée que jamais.
in Le Temps
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