Wednesday 19 January 2011

Cote d’Ivoire: L’absence de vision politique responsable du chaos

Par Gisèle Dutheuil, analyste d’Audace Institut Afrique

Le 2 mai 2010, à la clôture de la fête de la liberté organisée par le Front Populaire Ivoirien (FPI), le Président Gbagbo a prononcé un discours dont un passage ne manquait pas d’interpeller. En effet, il affirmait que la vision en politique ne servait à rien car la politique, selon lui « c’est mettre le pied droit devant le pied gauche, puis le pied gauche devant le pied droit et ainsi de suite. » Les militants du FPI répétaient alors en cœur « le pied droit devant le pied gauche puis le pied gauche devant le pied droit ». Cette bonne humeur dissimulait pourtant une faille importante dans les choix de leur leader. Le fait de naviguer à vue a contribué à conduire le pays dans la violence et l’enlisement consécutifs à un processus électoral bâclé alors même que le thème de la 20ème fête de la liberté était : «Gagner les élections pour une Côte d’Ivoire libre indépendante et souveraine. »

En Afrique et singulièrement en Côte d’ivoire, les intellectuels sont souvent marginalisés en politique. On entend volontiers dire « celui là est un penseur. Ah ! C’est un théoricien ! » Sous entendu que ce sont des gens ennuyeux qui se gargarisent de concepts et d’idéaux qui circulent en milieu fermé dans des salons et des salles de conférence pour parfois finir imprimés dans des ouvrages n’intéressant qu’un petit cercle d’intellectuels. La « vraie » politique, quant-à elle, aurait une dimension plus pratique directement utile aux populations. La confusion politique actuelle montre pourtant que loin d’être un luxe, la vision en politique est non seulement nécessaire mais, dans le cas ivoirien, elle aurait permis de limiter, voire d’éviter les conflits, les violences et même les morts. 
En effet, même sans être grand visionnaire, si Laurent Gbagbo avait, comme le prévoyait d’ailleurs l’accord politique de Ouagadougou (APO), appliqué le programme de désarmement dans les zones occupées du Nord, les violences et les intimidations n’auraient pas faussées le scrutin et les observateurs de tous clans auraient osé faire leur travail normalement, ce qui aurait limité et clarifié les contestations. Le redéploiement de l’administration aurait œuvré dans le même sens. Quant au centre de commandement intégré, prévu toujours dans l’APO, sa création effective aurait certainement évité les récents affrontements sanglants entre les Forces de défense nationales et les Forces Nouvelles aux abords de l’hôtel du Golf. 
Des visionnaires avaient pourtant alerté les décideurs sur le danger de ces négligences qui pourraient s’avérer fatales mais ces deniers ont préféré rejeter ces conseils émanant de trouble-fêtes jugés trop pointilleux. Cette attitude évoque celle de l’autruche qui s’enfouit la tête dans le sable lorsqu’elle a peur, ce qui lui évite de voir la menace réelle. De même, la partialité de la Commission électorale indépendante ne pouvait être une surprise pour Laurent Gbagbo, au même titre que la composition du conseil constitutionnel ne pouvait surprendre Alassane Ouattara qui a accepté d’aller aux élections dans ces conditions sans même contester le fait que ce conseil soit le seul habilité à proclamer les résultats définitifs du scrutin.
Aujourd’hui, soudainement, tous deux nient la légitimité de l’institution dont la composition ne leur était pas favorable. La partialité de l’ONUCI dans le conflit ivoirien ces dernières années avait été soulevée par des intellectuels ivoiriens qui avaient décortiqué des rapports de cette organisation mettant clairement en évidence son parti pris mais ce n’est que lorsque M. Choi a proclamé brutalement un résultat sans même daigner engager un dialogue, alors même que l’ONU n’avait qu’une mission de supervision, que tout le monde a crié au loup. Aujourd’hui, les véhicules de l’ONUCI sont brulés dans les rues et tout le monde semble s’étonner. C’est un peu tard pour mettre en place une stratégie. La politique sans vision fait un peut penser à Saint Thomas qui ne croyait que ce qu’il voyait. Certains intellectuels ont, par exemple, longtemps défendu le franc CFA comme étant une monnaie de stabilité pour la zone franc. 
Avec cette crise, prenant conscience de manière concrète des limites de la liberté monétaire en Côte d’Ivoire, ils s’insurgent et veulent créer dans l’urgence une monnaie nationale alors que le contexte troublé du pays rend pour l’heure ridicule une telle initiative. Pourtant, ceux d’entre eux qui depuis des années prônent des réformes du système étaient hier marginalisés et considérés comme les caciques du pouvoir, des trouble-fêtes idéalistes. L’essentiel était de mettre le pied droit devant le pied gauche sans faire de vague pour ne prendre aucun risque. Être visionnaire permet tout simplement d’identifier les probables futurs blocages de manière à les affronter et à les traiter avant qu’ils ne deviennent indissolubles et ne fassent souffrir inutilement les populations.
Être visionnaire c’est être responsable et travailler assidument, analyser et réfléchir à des stratégies visant le bien être collectif plus que des petits intérêts personnels. 
Dans cette phase aigue de la crise que doit faire le visionnaire ? Certains diraient : proposer des solutions de sortie de crise. Pourtant, à ce stade de blocage, toute proposition de sortie de crise sera médiocre dans ce contexte chaotique. On pourra, au mieux, sauver les meubles pour les 5 prochaines années puisque les murs sont trop profondément fissurés. La gestion immédiate de la situation ne relève plus de la vision mais fait appel à la raison, à l’humanisme et à l’humilité des politiciens qui ont construit ce chaos de manière à limiter drastiquement les souffrances des populations. Le travail du visionnaire aujourd’hui est de réfléchir à des stratégies pour éviter que dans 5 ans, à la prochaine échéance électorale, la Côte d’Ivoire se retrouve dans les mêmes difficultés. Pourtant, si aujourd’hui il parle de limitation du pouvoir des dirigeants défaillants à travers un régime parlementaire, on dira qu’il est ennuyeux car il y a d’autres priorités. 


S’il propose de préciser les droits de propriété, d’accroitre les libertés individuelles, de favoriser l’entreprise privée et l’économie de marché, on lui demandera de revoir sa copie car pour l’heure, on doit partager les postes du futur gouvernement d’union et que c’est le plus important. On lui dira que les libertés sont un concept d’intellectuel qui n’est pas la priorité du pays actuellement. Pourtant, c’est la seule voie qui permettrait à la Côte d’Ivoire d’avancer sur la voie du progrès et de sortir de cette logique d’enfermement qui donne à l’état tous les pouvoirs et aux populations l’obligation de payer les pots cassés. 
Etienne de la Boétie, écrivain français, disait « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ». Seule la voie de la liberté permettra aux populations de se relever et de prendre en main leur propre destin sans attendre l’avènement hypothétique d’un leader charismatique qui pourrait enfin œuvrer dans leur intérêt. Le travail du visionnaire aujourd’hui est de promouvoir, avant tout, la voie du libéralisme pour un nouveau départ du pays et pour prévenir les futurs conflits qui ne manqueront pas de ponctuer la vie du pays si ce statu quo était perpétué. Ce travail, le visionnaire se doit de le commencer dès aujourd’hui car demain, il sera déjà trop tard.

5 comments:

  1. Tout à fait d'accord avec votre analyse, mais la communauté internationale a toutefois un rôle trés glauque dans cette affaire, sans parler de la perte de crédibilité de l'ONU.

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  2. La France a perdu toute sa crédibilité depuis longtemps en Afrique et elle s’est evertuée à toujours prendre politiquement les mauvaises décisions( soutien ou intervention dans des élections, traffic d’influence etc….). elle a au cours des vingt dernières années délaissé le continent pour baguenauder dans l’europe de l’est, pendant ce temps les chinois s’installaient en Afrique. Maintenant elle se réveille aprés la bagarre et utilise les anciennes méthodes d’influence qui ne font qu’exarcerber les africains. La France ne s’est pas rendu compte que l’évolution et l’arrivée des médias tels qu’internet ont complètement changé la donne. La France ne connait plus l’Afrique, elle se croit toujours en pays conquis, a eu sa chance mais ne l’a pas saisie en temps opportun.
    Aprés la colonisation, De Gaulle sur un coup de colère a donné l’indépendance aux états. Ensuite, une coopération tous azimuths a suivi avec un gaspillage inommable de capitaux et de projets avortés. Ensuite abandon et retrait, et maintenant tentative de reconquête avec des intervenants ou diplomates qui n’y connaissent rien. Résultat: une grosse pagaille en Côte d’Ivoire et vu le nombre d’élections qui vont avoir lieu sur le continent en 2011, on peut s’attendre à pire. Pourtant les africains aimeraient avoir leur mot à dire et ils commencent à le faire, comme en RCI, car il faut savoir qu’il y a sur le continent de plus en plus de cadre compétent et pas forcèment ceux qui sont formés dans nos écoles!!!

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  3. Les pères fondateurs des nations africaines n'ont pas tous été des assassins ou des meurtriers. Des chefs tels que Senghor et Houphouët ont fait beaucoup dans leur pays. Ils ont été "choisis" parce qu'ils faisaient partie d'une élite dans leur pays et qu'ils étaient les plus lettrés à cette époque (Tombalbaye instituteur de même qu'Ahmadou Diori, Houphouët médecin, d’autre issu de l'administration comme Ahidjo, Senghor école normale supérieure..). On ne peut les accuser d'incompétence, mais on peut voir une certaine déliquescence du pouvoir chez leurs successeurs.
    Mais il n'y a là rien d'original et si vous faites le parallèle avec la France, vous constaterez qu'il en est de même. Avec humour, je dirais bienvenue dans le club de la décadence!!
    Ensuite, il faut que les Africains arrêtent d'accuser la colonisation et l'esclavage de tous leurs maux actuels et réalisent que ces faits font partie de leur histoire, de même que les Gaulois ont été vaincus et colonisés par les Romains. Ce sont de mauvaises excuses et il faut voir les choses en face: la possibilité de se révolter existait et tout le monde sait qu'un peuple qui se soulève est vainqueur, voir la révolution française et la révolution russe. En conclusion sur ce point, je comprends votre amertume mais il faut aller de l'avant!!
    Nous vivons à une époque où la déperdition puis l'absence de valeurs morales sont mondiales, d'où l'errance de la jeunesse et le manque d'idéologies nouvelles. La jeunesse africaine qui constitue la plus grande proportion de la population, est en grande partie analphabète ou presque et constitue en ce sens un terrain propice à l’instabilité politique. Par ailleurs pour eux, les méfaits de la puissance coloniale sont loin de leurs soucis car comme les jeunes de France, et selon la mode actuelle, tout est à court terme, donc ils ont des problèmes de travail, de revenu, à résoudre immédiatement.
    La jeunesse africaine peut participer au changement, mais elle ne le pourra pas seule. D’ailleurs quoique l’on puisse penser ce sont les africains de retour de formation en Europe ou aux USA ou simplement venus voir leur famille au pays, ainsi que le développement des médias qui ont fait que la donne a changé.
    Il faut qu’il y ait des responsables politiques conscients de l’avenir du continent et ayant la volonté de participer au développement de celui-ci. Les nouveaux intervenants, USA, Chine, Inde et autres ne sont pas là pour les beaux yeux des africains mais pour leurs matières premières. Il n’y a aucune nouveauté mais une concurrence accrue, c’est tout. Par contre il appartient aux africains d’avoir la sagesse nécessaire pour ne pas sombrer dans le chaos des coups d’états sous l’influence de l’appât du gain que peut susciter une plus grande concurrence entre les puissances politiques extérieures au continent. Gardons la tradition africaine et réglons les problèmes comme au village.
    La coopération et le partenariat se font par le travail ensemble, les gens qui travaillent, rencontrent les mêmes difficultés sur le terrain et se côtoient dans une même mission ont une obligation de résultat commune qui les oblige à collaborer et à partager. Voilà l’avenir tel que je l’envisage pour l’Afrique qui m’a accueilli en famille pendant 32 ans.

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  4. Laurent Gbagbo etait-il responsable de l'application du desarmement? En etait-il capable ? Je doute fort qu'il s'en soit privé s'il avait la capacité de le faire.

    Quelle vision peut on avoir pr son peuple quand on t'impose un premier ministre et des ministres qui n'obeissent qu'à leur parti politique

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  5. Bonjour madame,

    Je ne vois vraiment pas en quoi votre réflexion met en évidence le manque de vision politique

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