Wednesday 26 January 2011

Les doutes de la CEDEAO ?

par Jean Claude Kongo

Philippe Henry Dacoury-Tabley parti, débarqué de la manière qu’on sait de la BCEAO, le vice-gouverneur choisi pour assurer son intérim n’aura pas lésiné avant d’annoncer sa détermination.

Et la première décision de taille qu’il prit, quelques heures seulement après sa nomination, est celle de la fermeture des agences de la BCEAO présentes sur le territoire ivoirien. On comprend la visée de la mesure : l’asphyxie financière de Laurent Gbagbo est plus que jamais à l’ordre du jour. Mais l’individu lambda se pose légitimement des questions quant à la mise en œuvre et à la praticité de ladite mesure. Comment peut-elle, concrètement, se traduire sur le terrain ? Cela signifie-t-il que les agences nationales ivoiriennes de la BCEAO devront purement et simplement baisser les grilles ?


Alors, qu’adviendra-t-il du personnel qui, jusqu’à présent, y exerce ? De plus, il se trouve que l’instance financière de l’UEMOA compte, en plus de l’agence principale basée à Abidjan, 06 agences auxiliaires réparties à l’intérieur du pays. Si celle des régions Nord et Ouest sous contrôle des Forces nouvelles sont effectivement fermées depuis le déclenchement de la crise en septembre 2002, les autres, situées en zone sous contrôle des forces de Laurent Gbagbo demeurent. Comment pourra se traduire, concrètement, l’interdiction de fonctionnement lancée à l’encontre de ces banques ?

On se doute qu’elles ne décideront pas de se faire hara-kiri au seul motif que l’intérimaire du Gouverneur de la BCEAO l’aura voulu ainsi. Quant au souhait émis de voir les forces impartiales protéger les sites de la BCEAO, il peut demeurer un vœu pieux. Déjà que lesdites forces subissent des provocations de plus en plus grandissantes de la part d’Ivoiriens favorables à Gbagbo, on se demande comment on pourrait leur laisser le loisir de se positionner en toute tranquillité en vue d’assurer la protection des lieux.

L’équation ici est à plusieurs inconnues et on n’est pas étonné d’apprendre que les banques de la zone Gbagbo continuent de fonctionner comme si de rien n’était. Une autre décision qui peut connaître la même issue est sans doute celle annoncée par le président Alassane Ouattara, qui demande aux opérateurs économiques en Côte d’Ivoire de cesser toute exportation du café et du cacao. Là aussi, l’objectif visé crève les yeux : il s’agit de déstabiliser Laurent Gbagbo, toujours au palais présidentiel.

Mais, il faut le reconnaître, son application réelle est loin d’être évidente. Jusqu’à l’heure actuelle, c’est bien Gbagbo qui contrôle, de main de maître, toute la filière, et les ports d’Abidjan et de San Pédro restent à ce jour sous sa coupe. On ne voit pas à ce jour comment Alassane Ouattara pourrait les lui arracher, tout comme on ne perçoit pas non plus comment il pourrait forcer la main à des opérateurs qui opteraient de ne pas obéir à l’injonction.
A moins qu’on envisage la chose, très haut, en amont auprès des acheteurs qui approvisionnent le marché ivoirien. Mais, là aussi, la réussite de l’opération demeure hautement hypothétique : ces derniers proviennent de tous les continents et il s’en trouvera certains, très au fait des affaires, qui vous répondront que « business is business » et que, partant, émotions et états d’âme s’y retrouvent en zone interdite. Sans compter, et le fait est d’importance, que l’Union européenne, très diplomatiquement et dans un langage très courtois, manifeste son désaccord avec la décision. Un « non », même très poli, signifiant tout de même un refus et que la praticité de la décision d’ADO peut se révéler hautement ardue.

Quelque part, on comprend le niet d’une UE qui, même si elle reconnaît le président élu, n’est peut-être pas vraiment disposée à devoir casser sa tirelire pour acheter du café-cacao dont les prix sont condamnés à flamber. Et si elle devait, cette mesure, elle aussi et à son tour, mourir comme pratiquement toutes celles qui l’ont précédée, on pourrait sans conteste affirmer que le président élu a misé sur un mauvais cheval. Et cela est loin de servir sa cause en matière de crédibilité.

Troisième sujet d’inquiétude pour ADO et les siens, et il est loin d’être le moindre, c’est bien la requête lancée par le chef de la diplomatie nigériane, demandant au Conseil de Sécurité de l’ONU de voter une résolution qui autorise l’usage de la force pour déloger Laurent Gbagbo du pouvoir. Il s’en dégage de forts relents d’impuissance et de lassitude qui donnent la fâcheuse impression que l’on retourne à la case départ : après toutes les décisions qui avaient été prises, après tout ce qui avait été annoncé, et au moment où tout le monde s’attendait à l’imminence d’une action concertée, patatras, il faut attendre de recevoir un quitus de l’ONU. Et pourtant, on avait donné comme des assurances que tout était presque fin prêt.

On avait parlé de Bouaké comme le centre des opérations et un pays de la sous-région avait été perçu comme le point de départ duquel devaient se mener toutes les actions militaires contre Gbagbo et son régime. Ce quitus-là peut traîner en longueur si l’on en juge par les sempiternelles querelles de leadership qui, de façon récurrente, opposent les cinq grands. On sait que, dans cette crise, par exemple, la Chine et la Russie ont délibérément choisi de traîner le pas, même lorsqu’il s’est agi d’envoyer les 2000 soldats supplémentaires onusiens en Côte d’Ivoire.

Et à ce jour, rien ne donne à penser que ces deux-là feront preuve d’empressement lorsqu’il faudra évoquer une nouvelle et épineuse question de résolution à adopter. Et on se pose inévitablement la question de savoir la portée réelle de cette demande formulée par le Nigeria : serait-ce là une pirouette savamment orchestrée dans le but de se débiner tout en en faisant porter le chapeau à d’autres ? Pourquoi ce Nigeria qui, dès le départ, avait manifesté la ferme intention de déloger Gbagbo par la force ressent-il à présent le besoin de recevoir l’onction de l’ONU pour le faire ? Mystère et boule de gomme.

Il est vrai que l’on aura noté, à la faveur de cette crise ivoirienne, les fissures qui ont enrayé les machines de l’UA et de la Cédeao et étalé au grand jour les dissensions internes à l’une et à l’autre de ces instances africaines. Mais même là, elles n’avaient pas semblé gêner outre mesure la décision initiale du Nigeria, qui voyait là, sans doute, l’occasion de mériter son titre de géant d’Afrique. Alors, pourquoi se dégonfle-t-il subitement comme un ballon de baudruche ? Le mystère en reste sans doute entier. Et la situation de crise en Côte d’Ivoire, plus que jamais, est bien en passe de devoir s’enliser.

Jean Claude Kongo
l’observateur paalga

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