Par Jérémie Ncubé
Une intervention militaire étrangère est un scénario inconcevable en Afrique australe. Même le régime de Robert Mugabe est jugé digne de mansuétude.
Laurent Gbagbo avec Jacob Zuma, envoyé à Abidjan pour tenter de résoudre la crise
Ce qui s'est déroulé en Côte d'Ivoire –à savoir l'installation par la force d'un Président par l'ancienne puissance coloniale– aurait été inimaginable en Afrique australe. Même si leur mansuétude à l'égard des dérives du président zimbabwéen Robert Mugabe leur a valu des critiques, les Etats de cette région ont payé trop cher leur émancipation pour accepter une intervention militaire occidentale.
En Afrique de l'Ouest, aucun gouvernement n'a protesté contre l'intervention militaire française en Côte d'Ivoire, dont l'unique but était de débarquer Laurent Gbagbo pour installer Alassane Ouattara, Président reconnu par la communauté internationale et la Commission électorale indépendante. Les rares qui se sont exprimés, comme le Sénégalais Abdoulaye Wade, ont salué cette opération. Il faut dire que, dès la proclamation de la victoire de Gbagbo par le Conseil constitutionnel le 2 décembre 2010, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) avait joint sa voix à la France, à l'Union européenne et aux Etats-Unis pour demander au chef de l'Etat ivoirien sortant de quitter le pouvoir. La Cédéao avait même envisagé une intervention militaire régionale qui n'a jamais eu lieu, faute de consensus. L'organisation ouest-africaine a donc laissé à la France, ancienne puissance colonisatrice, le soin de faire le travail à sa place, sous couvert d'une résolution onusienne très largement interprétée.
Certes, plusieurs pays, dont le Burkina Faso et le Nigeria, ont, à en croire Laurent Gbagbo, fourni de l'aide aux forces pro-Ouattara, mais sans l'appui logistique et opérationnel de Paris, le candidat du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) n'aurait probablement pas la satisfaction d'être aujourd'hui le seul président de Côte d'Ivoire.
Vu d'Afrique australe, en tous cas, ce qui vient de se dérouler en Côte d'Ivoire est quasiment inconcevable. Certes, le président sud-africain Jacob Zuma, un des derniers soutiens de Laurent Gbagbo, l'a finalement lâché, le 17 mars 2011, en s'alignant clairement sur la décision de l'Union africaine de reconnaître Alassane Ouattara comme seul chef de l'Etat ivoirien. En outre, l'Afrique du Sud, membre non-permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, a voté, le 30 mars, la résolution apportant son «entier soutien» à la Mission de l'ONU en Côte d'Ivoire (Onuci) pour utiliser «toutes les mesures nécessaires» destinées à protéger les civils et empêcher l'utilisation d'armes lourdes contre eux. Mais la ministre des Affaires étrangères sud-africaine a ensuite émis des réserves sur les bombardements des sites stratégiques d'Abidjan par les hélicoptères de l'Onuci et de la force française Licorne.
«Je ne me rappelle pas avoir donné un mandat à quiconque pour un bombardement aérien sur la Côte d'Ivoire, avait déclaré Maite Nkoana-Mashabane. Nous ne soutenons pas nécessairement ce que nous n'avons pas voté.»
Pas de sanctions sévères contre Mugabe
Si Jacob Zuma a fait le dos rond sur le dossier ivoirien, au grand dam des partisans de Laurent Gbagbo, il n'aurait sans doute jamais accepté l'intervention armée d'une puissance non-africaine dans son voisinage direct. Il suffit pour s'en convaincre d'observer comment les récentes crises régionales ont été gérées. A commencer par celle du Zimbabwe. Malgré les graves dérives du président Robert Mugabe à partir de 2000, en matière de droits de l'homme et de violations des règles démocratiques, ni l'Afrique du Sud, ni la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) n'ont accepté de suivre l'Union européenne et les Etats-Unis dans leur décision de sanctionner sévèrement le chef de l'Etat zimbabwéen et son régime. Ce dernier n'a, d'ailleurs, pas non plus été mis à l'index par l'Union africaine.
Thabo Mbeki, Président sud-africain de l'époque, avait privilégié la voie du dialogue, en grande partie parce que Robert Mugabe restait à ses yeux celui qui avait libéré le Zimbabwe du joug du régime raciste blanc de l'ex-Rhodésie du Sud, fin 1979. Au bout du compte, un accord de partage du pouvoir avait été conclu entre Mugabe et Tsvangirai, sous l'égide de Mbeki, en septembre 2008. Ce compromis est aujourd’hui encore difficile à mettre en œuvre, mais les pays de la région ont préféré trouver eux-mêmes une solution, d'autant que les très fortes pressions britanniques et américaines –qu'elle fussent ou non justifiées– n'avaient fait qu'envenimer la situation, en offrant à Robert Mugabe l'occasion de crier au complot néo-colonialiste.
Etait-ce la bonne solution? Aurait-il fallu envoyer les troupes britanniques ou américaines pour forcer Robert Mugabe à quitter le pouvoir? Certains le soutiennent, en faisant remarquer que la crise politique est loin d'être réglée dans son pays. Mais dans une région où la lutte pour l'émancipation a été longue et meurtrière –que ce soit au Mozambique, en Angola, en Namibie, au Zimbabwe et bien sûr en Afrique du Sud– aucun chef d'Etat ne se serait risqué à soutenir une telle solution.
Pour autant, Jacob Zuma tient actuellement un discours plus ferme que son prédécesseur à l'égard de Robert Mugabe. Le 18 avril, alors que le blocage politique et les arrestations se poursuivent au Zimbabwe, Zuma a averti que son voisin s'expose à une révolte comparable à celle intervenue en Afrique du Nord si des réformes ne sont pas mises en place. Mais il n'y a quasiment aucune chance que la SADC prône une solution à l'ivoirienne pour sortir du blocage. Le chaos et les nombreuses victimes qui ont accompagné la prise de pouvoir d'Alassane Ouattara par les armes encouragera sans doute les pays d'Afrique australe à maintenir leur ligne de prudence.
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