Publié par Walid Hicham
Le storytelling, cette science qui scénarise et personnalise les événements
La séquence diplomatique exigeait de faire vite : la Russie commençait à donner de la voix. L’Angola rappelait que pour elle, Laurent Gbagbo était le président élu. Le temps commençait à déplacer les lignes. A remettre en cause certaines « évidences » et certitudes.
La séquence politique exigeait également ce « dénouement rapide ». L’incapacité des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) à aller chercher le président honni « au fond de son trou » sapait leur légitimité. Dans le même temps, elle mettait l’eau à la bouche d’autres parties telles celles du« commando invisible » d’Ibrahim Coulibaly (IB), capable de basculer en tête et de ramener Laurent Ggabgo comme trophée de guerre, matérialisant la grande peur de Guillaume Soro, premier ministre mais surtout ministre de la défense.
D’un naturel indécis, véritable extraterrestre dans un milieu qui ne connaît que la violence (militaire pour les rebelles devenus Forces nouvelles et enfin Forces républicaines de Côte d’Ivoire – que de transhumance sémantique ; estudiantine dans le cas de Guillaume Soro), n’ayant aucunement la mainmise sur les militaires, Alassane Dramane Ouattara s’épuisait à empêcher les débordements dans son camp. Alors un coup de fil à Sarko, et la messe était dite : les « forces impartiales »devaient gagner la guerre tout en veillant à ce que les formes soient respectées et que les FRCI aient le beau rôle. Il fallait faire vite. Et surtout se réapproprier un champ médiatique qui commençait à se dérober sous leurs pieds.
Il fallait détourner l’attention des questions qui fâchent. En l’occurrence, la clameur de réprobation qui lézardait l’unanimisme autour de la figure aux mains immaculées d’ADO, suite aux horribles et insensées exactions commises dans l’ouest ivoirien. L’ogre médiatique tournant en rond face à cet enlisement, il était naturel qu’il aille chercher ailleurs de quoi combler son appétit. Et cet ailleurs, s’est retrouvé dans l’arrière pays, à l’ouest. Entre le 28 mars et le 10 avril, les interpellations montaient crescendo. Le 9 avril, Daniel Bekele, responsable de l’ONG Human Rights Watch monte au créneau « Ouattara devrait faire clairement comprendre à Guillaume Soro et aux Forces républicaines que de tels actes seront sévèrement punis par la justice ivoirienne ou par un tribunal international. »En mauvaise posture également, les forces onusiennes (taxées au mieux « d’immobilisme »).
Mis bout à bout, la chute de Laurent Gbagbo ne devait pas prendre plus de 48 heures. Et elle a pris 48 h, à partir du moment où le top a été donné. La séquence médiatique a été parfaitement préparée : intervention militaire séquencée (blocus, tirs d’hélicoptère, bataille au sol, etc.), création de l’événement (arrestation) puis rapide mousse d’une com’ comme attrape-nigaud pour pisse-copies pressés : « mais qui a donc alpagué Laurent Ggabgo » ? Ah la "question existentielle" qui fait tourner en bourrique, commentateurs, politologues, journalistes, individus lambda, etc. !
Depuis, les éléments de langage sont mis sur la table. Les symboles ont été lustrés et mis de l’avant : pas de forces françaises à l’intérieur de la présidence ; photos de Laurent Gbagbo en maillot de corps pour mieux illustrer son dénuement et sa déchéance ; ou encore ce rictus de dépit, de peur et de pleurs refoulés qui barre son visage ; Simone Ggabgo montrée « hagard, le regard perdu », en retrait de son mari etc. Il fallait montrer que l’ennemi était à terre. Qu'il était vaincu (pour reprendre la métaphore de Simone Ggabgo). Qu'il était seul. Qu’il avait cessé d’être « immortel». Il a été conduit en chef de guerre déchu auprès de celui qui « l’a battu ». Comme pour forcer le trait à cet hôtel du Golf où Laurent Ggabgo l’avait cantonné : « si je ne vais à toi, tu viendras à moi ». La bataille médiatique a été au cœur de dispositif médiatique. Comme dans toute bataille. Et cette bataille, il y a longtemps que Laurent Gbagbo l’a perdue.
Les mythes ont été resservis comme neuf. Les illusions et les prétextes aussi. Laurent Ggabgo retranché dans son bunker ? Pendant que le cirque médiatique martèle cette assertion, fort « opportunément » la TCI diffuse un film sur la chute d’Hitler, lui aussi retranché dans un bunker.Finalement, ce bunker s’avère être un sous-sol des plus communs dont on fait sauter la serrure par une brève rafale. Un Laurent Ggabgo qui a profité de la trêve pour se renforcer. « Il n’avait que pour 3 jours de munitions » dixit son ancien chef des armées Philippe Mangou. Assertion faite dès… décembre. Pis, les irréductibles du palais de Cocody étaient quasiment en train de mourir de faim. Un Laurent Ggabgo déterminé, "va-t-en guerre", jusqu'aboutiste, capable de se suicider ? Plutôt un homme qui a vite vieilli, dont les yeux et la posture inspiraient la pitié. Un homme fini, au bout du rouleau, ayant achevé sa course. Et qui dans un élan de sincérité déclare "aimer la vie". L'armée de Laurent Gbagbo : des mercenaires aguerris ? Encore plus affamés et paumés que le chef qu'ils défendaient. Les rebelles Forces nouvelles ? Chutt ! Ils sont devenus légalistes et républicains. Ils portent haut la république au creux de leur nouvelles dénomination. Circulez, il n'y a rien à redire.
Et pendant ce temps, quelqu’un a entendu parler de bavures commises par l’armée française ? Une guerre propre on vous dit ! Ce n’est pas ce qu’affirme le « Canard Enchaîné » dans son édition du 6 avril : « A 19h30 (le 4 avril), quatre hélicos Puma, soutenus par des MI 24 de l’Onuci, commencent leur pilonnage, frappant au passage des objectifs aussi stratégiques que le CHU et un supermarché du quartier de Cocody ».
Les leurres fonctionnent à plein régime. Savoir si les forces françaises ont capturé ou pas Laurent Gbagbo mais franchement ce que l’on s’en tape. L’agitation de ceux et celles qui pourfendent les conditions de l’opération est pathétique. Le haussement de cil, un poil orgueilleux complètement ridicule de ceux et celles qui parlent d’ingérence, insupportable. Leur nationalisme sourcilleux affligeant.
La ruse fonctionne : un tel débat permet d’occuper pleinement la scène médiatique et d’occulter l’ailleurs. Pourquoi tant de pusillanimité : « À supposer que l'opération ait été une pâtisserie, la force Licorne a proposé la recette, mélangé les ingrédients et cuit le gâteau. Mais ce sont les FRCI d'Alassane Ouattara qui, sur son sommet, ont placé la cerise ». Et puis après… ?! Où est la gêne ? Sans les Français, la situation serait bloquée.Un officier français enfonce une porte ouverte. Parlant des FRCI, il précise « troupe vaillante mais peu organisée ».
La séquence médiatique a permis de réconcilier les exigences de politique interne et externe. De se réapproprier l’agenda. Elle a sauvé la mise à un ADO et à une France engagés dans de mauvais draps. Pour un temps, elle remet tout le monde en rang derrière le « président élu, reconnu par la communauté internationale » (comme cela nous est seriné sous tous les tons depuis 4 mois).
Nicolas Sarkozy a été un « monstre » du storytelling lors de sa campagne présidentielle et un an après son arrivée à l’Élysée. Le storytelling, cette science qui scénarise et personnalise les événements. Depuis son irruption sur la scène médiatique, ADO a fait du champ de la communication un axe indispensable de sa démarche médiatique : technocrate « compétent et rigoureux », « victime » de discrimination et de stigmatisation… Le costard est bien taillé. Quand Houphouët Boigny hérite du surnom de « Vieux », Bédié le « Sphinx » ou « l’éléphant blanc », Robert Guéï, le « balayeur » et Laurent Gbagbo le « boulanger ». ADO ? Mystère et boule de gomme ! En grattant vraiment, deux qualificatifs émergent : "l’enfant de Dimbroko" ou le « bravetché ». Pour mieux souligner son ancrage dans la terre de la Côte d’Ivoire, répondre à ces rumeurs « d’étranger » et montrer qu’il en a ! Mouais ! L’arrière-scène est bien entendu moins rose. Mais ADO a su contrôler son image et mettre en place les éléments de langage qui lui ont brossé une image de technocrate.
L’alliance ayant conduit Ouattara au bâtiment présidentiel est des plus hétéroclites. La communication ne masque ni le manque de vision ni celui de programme politique. Sarkozy est bien placé pour le savoir. Ceux et celles qui attendent au pas de la porte d’ADO pour un retour d’ascenseur sont plus que nombreux. Ivoiriens comme« souteneurs ».
De son côté, l’ogre médiatique a ses exigences et les gratte-papiers vont maintenant se lancer tête baissée vers d’autres leurres. Toujours occupé à regarder le doigt. Une minorité d’entre eux toutefois va continuer à se comporter en procureur des faits. Et c’est tant mieux ainsi.
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