Saturday 18 June 2011

Proverbe chinois contre proverbe ivoirien


Deux peuples, deux races, deux nations, deux cultures, deux civilisations, deux histoires : les Chinois et les Ivoiriens. Ils sont donc différents en tous genres. Rien ne les unit. Les premiers ont leur proverbe. Il dit ceci : «Mieux vaut apprendre à pêcher que de recevoir toujours du poisson». Ça c’est un beau proverbe. Si je comprends bien, cela veut dire qu’il faut travailler soi-même pour être indépendant. Ainsi, pourra-t-on être toujours rassasié à la sueur de son front sans tendre la main pour recevoir une quelconque prébende. Cela suppose de ce fait de travailler, de fouiller, de fouiner, de bêcher, d’arracher, de chercher et certainement de trouver. Il y a donc de l’intelligence à avoir, de l’endurance à maintenir, de la patience à cultiver, bien entendu de l’effort à fournir. Et nos frères chinois ont réalisé cet exploit inédit. Ils n’ont pas voulu recevoir du poisson qu’ils ont appris à pêcher. Et aujourd’hui, ils pêchent et mangent tellement bien le poisson qu’ils sont les plus nombreux au monde. Malgré leur nombre, leur poisson leur suffit et même ils en exportent à tous les coins du monde. Sacrés frères chinois qui sont aujourd’hui en train de renverser le monde entier grâce à la dynamique de leur proverbe!

Ici notre proverbe dit : « On ne regarde pas dans la bouche de celui qui grille les arachides » ! Quelle histoire ! Qu’est-ce que l’arachide ? Définition du dictionnaire Larousse : Plante tropicale (légumineuses), cultivée pour ses fruits (graines) qui se développent sous terre (les pédoncules floraux enfoncent les fleurs dans le sol après fécondation). L’arachide est donc un fruit comestible. Elle est très sucrée et donc bon pour le palais. Sa particularité est qu’il faut la cultiver. La cultiver, cela suppose qu’il faut en avoir, donc qu’il faut la chercher ; quand on en a trouvé, il faut casser les coques pour extraire la graine. Cela demande beaucoup d’efforts et de temps. Il faut ensuite la sécher. Cela demande aussi des efforts et du temps, surtout si la saison est pluvieuse. Après cela, il faut les ensacher, les soulever, les surveiller contre ses prédateurs que sont les souris et autres chats insolents qui récoltent là où ils n’ont pas semé. Il faut attendre la saison propice pour les semer, sous la pluie et le soleil. Que d’efforts à fournir ! Que d’énergie à rechercher et à concentrer. Une fois semées, il faut les surveiller au champ contre d’autres prédateurs que sont les écureuils et autres perdrix impudents et indélicats. Attendre la récolte, fournir les mêmes efforts, les mêmes endurances, etc., etc. Pour tout dire la culture de l’arachide n’est pas une sinécure. Mais là n’est nullement le problème. De toutes les façons, rien n’est facile sur cette terre, même pêcher les poissons avec les frères chinois. Le problème ici, c’est qu’il y a une étape importante : c’est celle de manger les arachides obtenues en trimant et en usant ses forces et ses efforts. La particularité ici aussi, c’est que ceux qui mangent les arachides, ce sont ceux qui ne les ont pas cherchées, cassées, séchées, surveillées, semées et récoltées. Selon notre proverbe, les arachides se mangent grillées. Ceux qui les grillent ne sont pas non plus ceux qui en sont les propriétaires. Une fois prêtes, les propriétaires, c’est-à-dire les semeurs, disparaissent comme par enchantement ! Toujours selon notre proverbe, on ne peut pas les griller sans les manger. Le paradoxe ici est que moins on en a, plus on veut les griller et plus on en a plus on veut en griller davantage. Or les manger suppose se cacher puisque le grilleur n’en est pas le propriétaire. Les enfants qui ne savent pas cacher la vérité diront crûment que ce sont des voleurs. Le grilleur devient donc voleur. Le grilleur vole le semeur. Quelle histoire ! Ici, c’est un voleur atypique. On ne doit pas regarder dans sa bouche. Cela veut dire qu’il ne parle pas et on ne doit pas lui parler non plus. Or celui qui ne parle pas et à qui on ne peut pas non plus parler est de nature dangereux. Il a donc le pouvoir de faire tout ce qu’il veut. Les arachides finissent donc dans la bouche du grilleur devenu voleur, à la place du semeur. Et malheureusement il peut en manger autant qu’il veut et peut. Tout le problème se trouve là : grilleur-voleur-mangeant-tout-ce-qu’il-peut-et-veut. Donnons ce nom insolite à notre grilleur lui-même bizarre.Ce fameux et malheureux proverbe est de la langue baoulé dont je suis. C’est le premier président de notre pays, Félix Houphouët Boigny, himself, lui aussi baoulé, qui l’a révélé au monde entier, sans sourire, devant caméras et micros. Il voulait justifier ainsi les détournements d’argent et autres deniers publics qu’il y avait sous sa présidence. Il voulait nous dire par là qu’il ne faut pas embêter tous les voleurs qui pompaient sans vergogne et sans calcul dans les caisses de l’Etat où ils n’ont eux-mêmes rien déposé. Ils faisaient un peu comme les écureuils, les souris et les chats qui se lançaient à l’assaut de nos pauvres arachides. Ainsi, a-t-il eu, soutenu, guidé et protégé ses grilleurs d’arachide. Ils étaient nombreux et non des moindres. Beaucoup sont morts sans avoir jamais craché leurs arachides pleines la bouche. Ou du moins les ont-ils crachées dans la bouche de leurs descendants. Beaucoup aussi sont encore vivants. Certainement qu’ils en ont encore tant dans la bouche. C’était d’ailleurs l’époque où il y avait effectivement beaucoup d’arachides à griller. Après lui, son successeur a lui aussi eu ses grilleurs d’arachide. Le champ était immense. Lui, les a baptisés d’un autre nom, beaucoup plus stylé, à la fois civilisé et ironique, je crois. Il les a appelés les « suiveurs ». Et effectivement ils le suivaient. Ils le suivaient partout avec sacs, cuvettes, barriques, tonneaux pour ramasser et griller les arachides. La particularité ici, c’est que ceux-ci faisaient un peu d’effort pour aller chercher et griller eux-mêmes ces arachides. Pourquoi ? Parce le champ se rétrécissait de plus en plus et les arachides étaient de moins en moins disponibles. Il fallait soi-même mouiller le maillot pour ne pas se faire griller par un grilleur plus malin et deux fois plus rapide. Il fallait aussi rivaliser d’ardeur et de génie à qui mieux mieux pour engranger davantage.Un groupe de suiveurs non contents du traitement que l’autre lui faisait subir a jugé bon de le balayer. Ainsi arrivent le tour des « balayeurs ». Ils voulaient balayer dans le champ d’arachide qui avait commencé à pousser des hautes herbes qui pouvaient les anéantir complètement. Mais balayeurs et suiveurs ne sont pas vraiment différents dans le style. Les arachides finissaient toujours dans leurs bouches. Personne ne pouvait les contrôler. Ils étaient bien armés pour garder le champ d’arachide et tenir en respect d’éventuels contrôleurs méticuleux. Ni le FMI, ni la BM, ni l’UE, ni la BAD, d’ordinaire tatillons sur tous les bords, n’ont osé les déranger. Qui est fou ? Ils allaient néanmoins terminer leur mission de grilleurs-suiveurs-balayeurs quand malheureusement le chef a voulu s’installer dans le champ définitivement. Mais il fut vigoureusement balayé par un vent violent appelé « refondateur ». Eux ont tenté de tout refonder dans le champ d’arachide devenu contre toute attente un enjeu mondial. Tout le monde voulait y venir griller les arachides. Mais eux aussi n’étaient pas différents des autres. On les voyait partout, dans tout le champ, mangeant même grains et coques d’arachide. La différence avec les autres, c’est qu’ils étaient généreux et intelligents. Il suffisait de savoir leur parler pour avoir une belle voiture et une belle villa. En plus leur chef n’aimait pas trop l’arachide. Il n’était donc pas un bon grilleur. Il aimait plutôt les grains de palme pour la sauce graine. Mais il a laissé le champ d’arachide aux mains de ses amis. Ils faisaient tout avec. Lui de temps en temps avait le courage de regarder dans leur bouche. Ainsi ceux qui passaient leur temps à griller au lieu de refonder faisaient un tour à la MACA pour la digestion. Malheureusement, un autre groupe a mis les bâtons dans ses roues. Aidés par des envahisseurs venus d’autres cieux, ils leur ont coupé net la route du champ d’arachide. Ceux-là on les appelle les « solutionneurs.» D’autres ivoiriens disent qu’on doit les appeller plutôt « Dioulabougou ». Je ne sais pas trop ce que cela signifie. Donc je retiens solutionneurs. Ils disent que là où leurs devanciers ont été grilleurs, suiveurs, balayeurs et refondateurs, eux sont solutionneurs. Les Ivoiriens disent qu’ils ont peur d’eux à cause de la manière cavalière dont ils sont arrivés dans le champ d’arachide. Eux ne sont pas passés par la grande route. Ils ont pris les pistes et les raccourcis. Ce qui fait qu’ils font peur aux autres. Surtout, ils ont des armes et n’hésitent pas à tirer sur ceux qui ne veulent pas travailler pour eux dans le champ. Et puis ils remarquent qu’ils ont déjà mangé les arachides avec les grilleurs, les suiveurs, les balayeurs et les refondateurs. Ils viennent donc dans un champ qu’ils connaissent déjà pour y avoir déjà grillé des arachides. Ce qui fait davantage peur car ils risquent de finir ce qui est au champ, dans le grenier et même sur le feu, surtout qu’ils ne sont pas seuls. Ils ont avec eux ceux qui les ont aidés à prendre les raccourcis. Et puis les mauvaises langues disent aussi d’eux qu’ils sont à la fois grilleurs, écureuils, souris, chats et perdrix qui ont envahi notre pauvre champ d’arachide. Quelle histoire, mais aussi quel malheur !Grilleurs, suiveurs, balayeurs, refondateurs, solutionneurs : ainsi va l’histoire de notre pays qu’un maudit proverbe baoulé guide au rythme des humeurs de tous ceux qui veulent y foutre la poubelle et le bordel. Aimons les chinois et leur proverbeQue Dieu nous sauve de ce proverbe maudit et de ses anciens et nouveaux grilleurs d’arachide!

No comments:

Post a Comment