Tuesday 9 August 2011

Analyse du discours de Ouattara: il parle aux prompteurs?

par Joseph Titi


Un tantinet tendu pour son premier message à la nation, le Chef de l’Etat a néanmoins retrouvé ses accents d’homme providentiel qui va accomplir tous les miracles attendus par le peuple. Sauf que les faits, eux, ne lui donnent guère raison.

Les ivoiriens ont désormais tout : la démocratie, le retour du pays sur la carte du monde avec des investisseurs prêts à faire leur bonheur, la sécurité, la paix et bientôt la croissance…Et tout ça grâce à lui. Pour sa première grande sortie officielle, à l’occasion de la célébration du cinquante-unième anniversaire d’indépendance de la Côte d’Ivoire, le Chef de l’Etat a peut-être donné le change à ses conseillers en communication qui voulaient certainement le rendre plus communicatif, moins agressif et moins froid. Le résultat est plutôt mitigé.


 Car c’est bien aux prompteurs qu’il a pu s’adresser ce 6 août 2011 et non aux ivoiriens dont les préoccupations ont été pour le moins ignorées, au plus mises en attente.Ce fut donc un exercice de haute voltige, mais pour entretenir sans sourciller un double discours sur des problèmes cruciaux, le Chef de l’Etat n’a pas son pareil. Il en est ainsi de la paix au nom de laquelle Ouattara serait disposé à travailler au retour de tous les exilés. Ils ont leur place dans la construction du pays, dit-il et même le Front populaire ivoirien, l’ennemie juré, y compris la majorité présidentielle ont eu droit à une parade amoureuse en direct sur TCI, au nom de la paix et de la réconciliation nationale. 


Sauf que le FPI attend depuis des mois qu’Alassane Ouattara reçoive ses mandants qui ont une demande d’audience dans les cahiers de la Présidence et qui, de guerre lasse se sont rabattus sur Henri Konan Bédié qu’ils sont allés voir à Daoukro, il ya quelques semaines, en tant qu’inspirateur théorique de la présidence Ouattara. Comme quoi, ça paraît plus simple sur les écrans de TCI que dans les chambres capitonnées des palais de la République. Le chef de l’Etat garde également sa tactique de l’omerta sur les déportations infligées à ses adversaires, dont la plupart ne sont même pas encore inculpés, en guise de réponse aux ONG des droits de l’homme qui s’inquiètent encore aujourd’hui des exactions commises par les FRCI. Les villages de petit Akoupé, en pays Akyé, Broudoumé et Nagadoukou dans la région de Gagnoa sont actuellement livrés à ses hommes qui malmènent leurs habitants, incendient leurs maisons et y prennent des otages qui servent par la suite de moyen de rançon. Ce n’est certainement pas à eux que le Chef de l’Etat s’adresse en affirmant que la sécurité est à nouveau de retour et que les ivoiriens ne doivent plus avoir peur.


Mais Alassane Ouattara évoque aussi, à l’occasion de ce message, de grands principes comme ceux de la démocratie en indiquant que son avènement à la tête du pays marque le retour de la Côte d’Ivoire dans une ère démocratique. Il ne passe pourtant pas de jour sans qu’il ne défigure le visage institutionnel du pays. L’Assemblée nationale n’a plus droit à son budget habituel pour assurer son fonctionnement et en violation de la constitution, le président du conseil constitutionnel Paul Yao N’dré vient d’être viré. Pis, Ouattara promet de modifier la constitution alors qu’en vérité, il n’a qu’une initiative en la matière, le peuple étant le seul souverain. Quoi d’étonnant en fait, depuis son arrivée au pouvoir, le chef de l’Etat fait ce qu’il veut. Il arrête qui il veut, fait geler les comptes de qui il veut et promet des sanctions à des prisonniers sur le sort desquels la justice reste étrangement muette.Les FRCI quant à elles tirent profit de cette tendance du chef de l’Etat à ne pas se conformer à ses charges. Elles continuent de piller et de tuer. Après avoir dénoncé les chasseurs dozos qui sèment la terreur dans la partie ouest du pays pour mieux protéger le pouvoir de Ouattara, Human Rights Watch s’inquiète de la promotion des principaux chefs de guerre dans l’armée régulière. L’ ONG condamne ces promotions et doute de l’engagement du chef de l’Etat à mettre fin à l’impunité. 


Finalement, seule compte l’impunité de ses adversaires politiques.Mais ce sont sur les préoccupations matérielles des ivoiriens que le discours de Ouattara fuit les réalités nationales. Les déguerpissements sont nécessaires, dit-il pour justifier la brutalité de ceux qui sont commis à cette tâche et qui n’ont pas jugé bon de donner des mises en demeure aux concernés. Les ONG locales et internationales, tout comme les Ambassades promptes à bloquer ce type d’opération sous Gbagbo assistent sans broncher à ces actes qui relèvent d’une violation des droits de l’homme. Ouattara, lui, se veut formel : les droits de l’homme c’est lui qui les respecte. 


Par ailleurs, il est toujours le Dr. Solution qui a promis monts et merveilles aux ivoiriens. Ceux qui n’ont pas encore de travail seront bientôt comblés. Le gouvernement va réaliser sa promesse en créant des emplois, promet le chef de l’Etat qui, sur ce chapitre, a au moins déjà montré qu’à défaut d’en créer, il sait procéder à des annulations de concours sur la base qu’ils auraient été organisés par un gouvernement illégitime et renvoyer des travailleurs ou geler leurs comptes pour avoir continué à occuper leur poste pendant la période postélectorale. A partir de quand compte-t-il donc créer ces emplois ? Motus et bouche cousue. Sauf pour se fendre, comme à ses habitudes, d’une petite mystification pour gogo et rassurer ses ouailles avec des peccadilles comme le retour du Fonds monétaire international en Côte d’Ivoire, il a pourtant toujours été là, celui de la Banque mondiale et de toutes ces institutions que Ouattara considère toujours comme des entités pouvant développer la Côte d’Ivoire. Tout va donc bien. 


Malheureusement, le chef de l’Etat est le seul optimiste. Car malgré les effets d’annonce sur des milliards recouvrés ou encore ses invitations au G8 à Deauville en France ou à la Maison blanche, la situation économique du pays est catastrophique. Les salaires, humiliation suprême pour la fierté nationale, sont payés par la France et des forces de l’ordre traînent encore des arriérés de soldes tout comme de nombreux travailleurs ivoiriens. La grogne jusque-là contenue à cause de la présence des FRCI dans les rues risque de sortir de son lit si les provocations du gouvernement continuent. Et rien que pour cela, Ouattara sur TCI, sur une télévision privée utilisant les infrastructures de la télévision nationale, c’était déjà une très mauvaise affiche.


Titre: Abidjan_pas_net

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