Par Sylvie Kouamé
« Ces névrosés qui veulent nous gouverner ». Ce titre provocateur barre la “Une” de la dernière édition de l’hebdomadaire français Marianne. Le newsmagazine part du postulat que la psychanalyse est une grille de lecture pertinente, permettant de connaître les motivations cachées des puissants, leurs ressorts secrets et, au final, leur nature profonde. Une chose est sûre : quand on passe les actuels gouvernants de la Côte d’Ivoire au scanner de la discipline de Sigmund Freud, le résultat est ravageur. Il est surtout criant de vérité. Il permet de connecter le passé et le présent, et de ne pas se faire trop d’illusions sur l’avenir.
La transgression permanente
La psychanalyse appelle “transgression” l’état, la situation ou l’action « dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction ». Le personnage transgressif refuse les règles et les lois dont la société s’est dotée. Il les contourne, les ignore, voire les défie. Ces lois et ces règles sont à la fois d’ordre juridique, moral et formel.
Même pour l’observateur lambda, le caractère profondément transgressif de la pratique du pouvoir telle qu’elle se décline depuis bientôt trois mois en Côte d’Ivoire apparaît dans toute sa crudité. Le nouveau pouvoir ivoirien ne respecte rien d’autre que sa propre volonté de puissance. Il ne respecte pas la Constitution. Il ne respecte pas l’Accord Politique de Ouagadougou. Il brise le pacte de coexistence pacifique entre Ivoiriens en assumant un revanchisme brutal et régressif. « Et puis ça fait quoi ? », répètent inlassablement, les yeux injectés de sang, les plus extrémistes du clan. « Faites ce que vous pouvez alors ! », assènent-ils dans un rire méchant. Ils sont ivres d’une force qui, et ils le savent très bien, n’est pas vraiment la leur.
Ils sont au stade du « ça ». Qu’est-ce que le « ça » ? « Conceptuellement, le ça représente la partie pulsionnelle de la psyché humaine, il ne connaît ni normes (interdits ou exigences), ni réalité (temps ou espace) et n’est régi que par le seul principe de plaisir, satisfaction immédiate et inconditionnelle de besoins biologiques. C’est donc le centre des pulsions, des envies qui constituent l’énergie psychique de l’individu. Le ça est une instance entièrement inconsciente. C’est l’instance dominante chez un nourrisson qui ne fait pas la part entre réel et imaginaire et a un sentiment de toute-puissance », nous explique l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Figure emblématique de ce nouveau pouvoir, le soldat FRCI débraillé, insolent, qui joue au gendarme et au voleur en se méprenant sur sa place dans le jeu est le symbole d’une personnalité collective qui n’a pas encore atteint le stade du « surmoi », « la structure morale (conception du bien et du mal) et judiciaire (capacité de récompense ou de punition) de notre psychisme ».
En général, c’est la figure du père qui impose à l’enfant refusant de limiter ses caprices une autorité structurante et qui limite son « ça ». Il faut maintenant attendre que les Occidentaux, qui ont “accouché” de notre nouveau pouvoir, tracent pour lui les limites qui permettront à notre civilisation et à notre démocratie de ne pas mourir. Tout en se souvenant que l’actuel Chef de l’Etat a toujours été considéré par ses adversaires comme un homme qui, depuis son entrée dans le sérail politique ivoirien, a sacrifié à son ambition politique tous les tabous structurants… Et que la “communauté internationale”, en érigeant la satisfaction de son ambition en absolu politique indiscutable en Côte d’Ivoire, a accompagné ses transgressions.
Le complexe de Caïn
Dans un poème poignant intitulé « La Conscience », Victor Hugo a revisité l’histoire biblique de Caïn, fils d’Adam qui, après avoir tué son frère Abel, vécut tourmenté par le remords – un remords non exprimé qui se présentait sous la forme d’un oeil accusateur qui le suivait partout. L’oeil se dessinait dans le ciel. L’oeil transperçait les murs de bronze. Se moquait des inscriptions « Défense à Dieu d’entrer ».
Même quand Caïn décidait d’aller vivre sous la terre, « l’oeil était dans la tombe et regardait Caïn ». Parce qu’elles n’ont pas admis leur sentiment de culpabilité face à ce qu’ils ont fait endurer à la Côte d’Ivoire, mais aussi à Laurent Gbagbo, adversaire bien plus chevaleresque qu’elles ne sauraient l’être, les nouvelles autorités ont une manière bien spéciale de soigner leur malaise intérieur. Il faut faire disparaître « l’oeil ».
La destruction des monuments construits sous la Refondation traduit une angoisse métaphysique, une peur du Jugement, une impression insupportable que l’absent est toujours là, et peut toujours “frapper”. Il faut couper ses racines pour qu’il ne repousse pas. C’est cette angoisse diffuse qui a poussé les autorités ivoiriennes à accuser le Ghana, en dépit du bon sens, de faire aujourd’hui ce qu’un autre pays de la sous-région a fait hier pour leur plus grand profit.
C’est cette grande peur de la “finitude”, du retour des rivaux indécemment traités, qui explique l’épuisement judiciaire d’un pouvoir qui va jusqu’à geler les comptes de personnes qui n’en ont pas pour se prémunir de toute surprise. C’est cette incapacité à figer pour l’éternité le moment où l’Histoire semble leur sourire qui explique l’article incroyable d’un confrère paniquant à l’idée de la disparition soudaine du chef pour qui la terre ivoirienne tremble depuis plus d’une décennie.
La psychanalyse est décidément une bien belle grille de lecture…in Le Nouveau Courrier
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