Friday, 1 July 2011

Ouattara et la réconciliation anti-Ivoiriennes

Par Roger GbalouIn  CITES (Côte D’Ivoire, Terre d’Espérance)
Titre: abidjan_pas_net


Alassane Dramane Ouattara veut initier une réconciliation en Côte d’Ivoire. Il a invité à cet effet des sages parmi lesquels Desmond Tutu qui fut la cheville ouvrière de la réconciliation en Afrique du Sud. Mais comment compte-t-il s’y prendre s’il ne tire pas les enseignements de l’expérience sud-africaine ? Peut-on se réconcilier contre les Ivoiriens, par les armes et surtout en l’absence du Président Laurent Gbagbo ?


Les secrets de la réussite sud-africaine reposent sur 2 éléments fondamentaux que sont le contexte politique et ses conséquences économiques et sociales d’une part, et d’autre part le rôle moteur joué par Nelson Mandela et Frederik de Klerk tant au sein de leurs communautés respectives qu’entre les différentes communautés sud-africaines. En effet le système de l’apartheid institutionnalisé en Afrique du Sud par les blancs ne fut pas facile à vaincre. De luttes armées en émeutes et en massacres de civils noirs, il fallut de longues années de lutte aux militants de l’ANC pour que de premières négociations sérieuses s’engagent, d’abord sous Peter Botha, puis sous Frederik de Klerk. Vers la fin des années 80, la réalité des rapports militaires en présence, l’état économique catastrophique consécutif aux différentes condamnations et résolutions de la communauté internationale ont fait prendre conscience aux différents acteurs sud-africains que non seulement le système de l’apartheid n’était pas viable et pérenne, mais il fallait un cessez-le-feu immédiat et engager de profondes réformes politiques et sociales fondées sur la justice et l’égalité des races. Rappelons que Peter Botha, par ses négociations pragmatiques avec Samora Machel le 16 mars 1984 et Joaquim Chisano en mai 1988 était parvenu progressivement à couper à l’ANC sa base arrière, le Mozambique et à amenuiser ses capacités militaires.


Ensuite en rencontrant Nelson Mandela en 1989, il a accepté d’affronter ses propres démons en condamnant ainsi à mort l’apartheid. Mais ce contexte socio politique ne donna lieu à un véritable climat vertueux que grâce au rôle majeur de 2 hommes d’exception, Nelson Mandela et Frederik de Klerk. Nelson Mandela permit la cohésion au sein de la communauté noire, au sein de l’ANC d’une part, et entre l’ANC et l’INKHATA Zoulou de l’autre, puis il s’imposa comme une passerelle à la paix entre la communauté noire et blanche. Frederik de Klerk joua également ce même rôle au sein de la communauté blanche qu’il convainquit non sans mal d’abandonner définitivement l’apartheid, non pas parce qu’elle le voulait, mais parce qu’elle n’en n’avait pas le choix. D’autre part, il put rassurer la communauté noire en libérant Nelson Mandela et en ne s’opposant pas à son arrivée au pouvoir. A partir de là, les différents acteurs ne purent que jouer franc jeu et contribuer efficacement à la réussite de la réconciliation sud africaine. En Côte d’Ivoire un tel climat propice à la réconciliation existe-t-il ?
Peut-on aller à la réconciliation avec les armes sous la tempe ? Une réconciliation obtenue au forceps est-elle pérenne ? Telles sont les deux questions fondamentales qu’il faut se poser.
A défaut, non seulement on se leurre mais on prépare les ingrédients d’une déflagration future encore plus violente de la société ivoirienne.

En effet depuis le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire vit sous le règne de la violence et des armes. On croyait pourtant que l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir en 2000, et surtout les conclusions du forum de réconciliation nationale et le gouvernement d’union nationale qui en a résulté conduiraient à une paix durable en Côte d’Ivoire. De tentatives de coup d’Etat en rébellion, notre pays est rentré progressivement dans un cercle infernal de violence. C’est que les dés étaient pipés dès le départ :

Alassane Dramane Ouattara se sentait profondément frustré depuis sa mise à l’écart du Palais présidentiel à la mort du Vieux et l’affaire de sa nationalité dite douteuse. A cela s’est ajouté le refus du Général Guéï de lui céder le pouvoir après le coup d’Etat organisé initialement à son profit et son éviction des élections de 2000. Le Président Bédié n’était pas en reste. Victime d’un coup d’Etat en 1999 et d’une mise à l’écart pendant les élections de 2000, le Président Bédié attendait fermement l’heure de faire payer au Président Laurent Gbagbo sa collaboration avec le putschiste Guéï. Tout le décor de l’échec du forum de réconciliation était planté. Ni Alassane Dramane Ouattara, ni le Président Bédié ne voulaient d’une réconciliation avec le Président Laurent Gbagbo dont ils refusaient de reconnaître la légitimité et la Présidence. C’est donc tout naturellement qu’ils mirent tout en œuvre pour faire échec à tous les accords issus du Forum. Pire, ils décidèrent de profiter de ces accords, et notamment du gouvernement d’union nationale pour faire tomber le régime Gbagbo. S’en suivirent les tentatives de coup d’Etat à répétition et la rébellion.

Alassane Dramane Ouattara et Bédié n’hésitèrent pas un seul instant à surfer sur la fibre ethnique, tribale et religieuse. Alassane Dramane Ouattara fit croire aux siens qu’on ne voulait pas de lui à la tête de la Côte d’Ivoire parce qu’il est originaire du Nord et musulman.
Bédié convainquit ses parents d’accepter d’héberger les rebelles afin que les baoulés retrouvent le fauteuil présidentiel qui leur revenait de droit.

C’est ainsi que la rébellion prit forme et racine dans la moitié nord de la Côte d’Ivoire. On en connait les conséquences, des morts d’Ivoiriens par milliers, des crimes économiques, des pillages, une désorganisation totale de la société et de l’État ivoirien. Personne ne pourra nier les efforts et les concessions faites par le Président Laurent Gbagbo pour ramener la paix dans son pays. Ni les rencontres et nombreux accords avec la rébellion, ni les lois d’amnistie, ni les gouvernements d’union nationale et la nomination de Guillaume Soro à la tête du gouvernement ne suffirent à ramener le désarmement et la paix. Et les élections de 2010 ne furent tout simplement qu’un jeu de dupes dans lequel le gagnant était connu d’avance.

D’un côté, il y a des Ivoiriens qui ont tué et qui continuent de tuer d’autres Ivoiriens. Ces Ivoiriens croient en leur force. Ils se croient maîtres de la violence et leurs crimes sont impunis et couverts depuis une décennie déjà. Ils sèment la terreur partout et ont réussi à enlever et à emprisonner le Président Laurent Gbagbo avec le concours des forces françaises et la complicité de la communauté internationale.

De l’autre côté il y a un peuple qui est attaqué injustement, à qui on a imposé une guerre, un peuple qui voit son sang couler chaque jour. Ce peuple a fait de son mieux pour éviter la guerre et favoriser la paix, mais il continue de subir la foudre de ses bourreaux. Martyrisé, bâillonné, violenté, pillé et exilé chez lui, comment ce peuple peut-il trouver les forces pour pardonner? Peut-il y avoir une réconciliation sans pardon ?

En Afrique du Sud, une réconciliation sans Nelson Mandela aurait-elle été possible ? Par sa libération, Frederik de Klek n’a-t-il pas tout simplement fait un geste de bonne foi à l’endroit de la communauté noire sans laquelle aucune discussion n’aurait pu aboutir ?

Qu’on le veuille ou pas, Laurent Gbagbo est et demeure un personnage politique incontournable en Côte d’Ivoire. Il a dirigé ce pays pendant une décennie et est présent sur l’échiquier politique ivoirien depuis la fin des années 70.

Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Laurent Gbagbo a façonné le paysage social et politique de ce pays, ne serait-ce que par ses luttes pour le multipartisme et la démocratie. Des milliers d’Ivoiriens croient en lui et ont voté pour lui. Même aujourd’hui encore, la majorité des Ivoiriens croit en sa victoire aux élections présidentielles de 2010. Et ce n’est pas le deuxième tour de la proclamation faite par Yao N’dré qui le convaincra du contraire, encore moins une décision de l’UA dite supérieure à la Constitution ivoirienne, à moins de le prouver en recomptant tout simplement les voix comme le suggérait déjà le Président Laurent Gbagbo. En maintenant le Président Laurent Gbagbo, son épouse, sa famille et ses compagnons en prison, n’est-ce pas les écarter de la réconciliation ?

En écartant Laurent Gbagbo du processus de la réconciliation, n’est-ce pas mettre à l’écart tous ces milliers d’Ivoiriens qui ont voté pour lui et qui continuent de le soutenir ?

N’est-ce pas tout simplement un leurre que de croire qu’on peut réconcilier certains Ivoiriens au détriment d’autres Ivoiriens ?

Une réconciliation contre les Ivoiriens n’est-elle pas tout simplement une vue de l’esprit, un raccourci grossier qui ne manquera pas de désintégrer davantage notre pays?

In Le nouveau Courrier 

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