Par Ahouansou Séyivé
Nicolas Sarkozy, dans une de ses déclarations emplie de démagogie, où il fit une nouvelle fois l’illustration de sa piètre connaissance de l’Afrique et de l’histoire, avait affirmé que la France n’avait pas besoin de l’Afrique (1). Voilà en une phrase résumé le paradigme (modèle) des relations France-Afrique. Au-delà de la saillie blessante et injurieuse pour ses hôtes maliens, elle mettait en évidence le cadre flou, teinté de paternalisme et de condescendance, dans lequel s’est inscrite la politique initiée par le Général de Gaulle au lendemain de la libération.
Les effets de cette « vision », le nègre d’Afrique francophone n’a cessé depuis lors de les observer et de les subir. Le nègre de Côte d’Ivoire les observe et les subit aujourd’hui même, dans les rues d’une Abidjan dévastée et livrée à des chefs de guerre. Plaçant la question de la relation entre la France et ses ex-dépendances dans le cadre étroit et unilatéral de ses besoins supposés et évidents, le propos escamotait la véritable nature du lien vassalique et spoliateur unissant l’État français et ses ex-colonies. Ceci est compréhensible, car comment expliquer aux français que la devise de leur pays en Afrique n’est pas Liberté-Égalité-Fraternité mais bien Pillage-Violence-Mensonge ?
Une exception culturelle bien française
Pour ceux des commentateurs politiques français qui se complaisent dans l’usage immodéré de la symbolique et qui substituent à une véritable analyse une catégorisation simpliste et erronée de l’action du politique, Nicolas Sarkozy n’est pas un gaulliste. Si la politique de classe, favorable aux milieux aisés et fortunés, qu’il a imposée aux français depuis son accession au pouvoir en 2007 renforce cette lecture, sa politique africaine, cristallisée par la guerre coloniale qu’il a menée en Côte d’Ivoire, le place comme héritier de ce que nous appellerons, le Gaullisme africain et qui n’est autre que l’institutionnalisation du vol, de la corruption et de la violence la plus abjecte sur le continent noir.
Que ces pratiques aient été mises en place au lendemain de la libération pour permettre à une France exsangue et marquée du sceau de l’infamie, du fait de son rapprochement avec le Reich, de retrouver son rang de puissance planétaire, importent peu aux citoyens français honnêtes ou aux africains qui en sont les victimes.
Le concepteur et le maître d'œuvre de la Françafrique…
La fin ne justifie pas toujours les moyens, notamment lorsque l’équation intègre dans ses paramètres la vie et la liberté d’hommes et de femmes qui n’eurent pour seul tort que de naître sur un continent immensément riche, balkanisé en 1884 à la Conférence de Berlin de sinistre mémoire … Le double langage de l’hypocrite et criminel personnel politique français a, depuis MM. De Gaulle et Foccart, empêché le peuple français de s’approprier et d’appréhender correctement la question de la relation de son pays avec l’Afrique. La duplicité qui a été instituée depuis lors dans l’exposé des politiques à destination du continent noir brouille toute compréhension ou analyses correctes.
Et heureusement! Il ne fait aucun doute que le peuple français ne tolèrerait pas les pratiques empruntées à la criminalité organisée, qui régissent là-bas les comportements des officiels français.
On nous objectera avec naïveté ou mauvaise foi que rien n’est tout blanc ou tout noir, que la France n’a point d’amis, seulement des intérêts. Écartons-nous pourtant de ces évidences de Lapalisse, car lorsque le paradigme dans lequel se développent les relations entre la France et ses ex-colonies se définit par l’absence absolue de moralité, fille d’un cynisme sans frein, par la corruption du cœur et de l’esprit de ses agents et une opacité totale, il ne faut point espérer qu’il en ressorte quelque bien, même symbolique.
Le droit de désinformer
A cela, ajoutons l’incompétence et la mauvaise foi caractérisée des grands médias et de la majorité des intellectuels, en charge d’éclairer les français sur la complexité du monde africain.
Prenons pour exemple édifiant M. Pascal Boniface, géopolitologue, qui se plu lors d’une émission télévisée à évoquer l’hypothèse d’un troisième homme susceptible de ramener la paix et favoriser une transition politique dans le calme en Côte d’Ivoire (2).
Au regard de la situation prévalant entre MM. Gbagbo et Ouattara, le nom de l’homme providentiel souhaité par M. Boniface, le footballeur Didier Drogba, s’il peut prêter à sourire, démontre la légèreté avec laquelle sont traitées les questions africaines dans les médias, lorsque ce n’est pas une propagande éhontée et fallacieuse qui abrutit et aveugle le citoyen français.
BFM TV, qui est à la déontologie journalistique ce qu’Éric Besson est à la fidélité en politique, ou l’excité Robert Ménard, ignorant tous des sujets dont il parle selon lui «Sans interdit», en furent les meilleurs exemples, lors de la guerre coloniale menée par la France contre la Côte d’Ivoire. Ils se plaçaient ainsi dans la perpétuation de la tradition de cécité du journaliste, voire de sa malhonnêteté face aux réalités des méfaits de la politique africaine de la France, instaurée par André Blanchet journaliste au Monde lors de la «pacification » du Cameroun (1955-1962). Alors que les troupes françaises secondées par des supplétifs africains à la solde du sanguinaire et pro-français Ahmadou Ahidjo massacraient populations et maquisards upécistes, cette figure du journalisme d’alors n’y voyait qu’œuvre bienfaitrice, n’hésitant pas à escamoter une vérité sanglante, désinformant sciemment ses lecteurs, qui n’avaient d’autres sources d’informations (3).
Tout a donc été mis en œuvre pour que le citoyen, floué par les politiques, désinformé par les médias lorsqu’il n’est pas intoxiqué par leurs mensonges, ne puisse se forger une opinion sur ce que le gouvernement français peut accomplir en son nom sur le continent africain.
Un jeu de dupes.
Par ailleurs, le ressentiment légitime qui peut lui être signifié par les africains et les afro-français en réponse à cette politique criminelle, il ne peut le comprendre. Lui qui a été bercé depuis des temps immémoriaux par des comptines à dormir debout, idéalisant la bonté de la France à l’endroit de ces pauvres nègres qui se massacrent par tradition, ou meurent de faim par inclinaison, ne peut saisir que l’on puisse mettre en doute la politique « humaniste » de son pays. Il est en fait, et dans une moindre mesure, une victime de cette politique du mensonge qui en moins de vingt ans a permis à notre pays d’être complice de génocide au Rwanda et (potentiellement ?) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Côte d’Ivoire.
En France on n’a pas de pétrole, mais on a des groupes pétroliers.
En France on n’a pas d’uranium, mais on fabrique des centrales nucléaires.
En France on n’a pas de cacao, mais on produit du chocolat.
Ce qui est à toi est à moi, ce qui est à moi n’est plus à toi
Le citoyen français est en droit de savoir quel prix paie l’homme africain pour qu’il puisse se gargariser d’être le ressortissant d’une grande puissance. Pourtant tout est fait pour qu’il ne se questionne pas.
Le décryptage des véritables ressorts de la politique africaine de la France est laissé aux militants associatifs, à quelques politiques renégats ou calculateurs, et à une intelligentsia noire qui, tous ensemble, ont perdu le pari de la vulgarisation de cette thématique, essentielle à une prise de conscience par la société française des enjeux s’y rapportant.
Un Front National
Ensemble et en route pour la CPI ?
L'omerta demeure la règle, et la vision fortement teintée de darwinisme qui imprègne la classe politique française quant à sa lecture des relations France-Afrique, n’aide pas à la popularisation de ce débat nécessaire. En France, on s’émouvra de la situation dans le monde arabe, d’une simple phrase naîtra un déchaînement des passions politiques et journalistiques (la proposition maladroite de notre regrettée Michelle Alliot-Marie devant la Représentation Nationale). Mais en France, on restera coi devant l’agression coloniale du gouvernement Sarkozy, mise en musique par le spécialiste de l’Afrique et des africains, le droit dans ses bottes Alain Juppé qui semble préférer l’africain, non pas droit dans ses sandales, mais raide et allongé dans sa tombe …
Le Parti Socialiste, lui, ne s’est pas trompé en soutenant la guerre coloniale de Sarkozy-Lyautey, il a renoué en cela avec son glorieux passé, celui de la gauche coloniale qui au nom des Lumières importât les ténèbres en Afrique. La boucle est ainsi bouclée …
Après avoir démontré le peu de cas, hormis bien sûr en période électorale, qu’il peut faire des problématiques auxquelles font face les afro-français (son nègre de service Ali Soumaré en est un exemple saisissant), le Parti Hypocrite affiche sans honte son peu de soucis des répercussions des politiques françaises en Afrique.
Il apparaît clairement que cette question, pourtant centrale, ne préoccupe ni les politiques dans leur majorité, pour raison de complicité avec le système mafieux hérité du gaullisme, ni les médias ignorants de l’Afrique ou des africains ou tout simplement aux ordres, et encore moins la société civile, désinformée et lobotomisée par une pensée dominante aux relents paternalistes.
Pornographie et démocratie
Le bouleversement de ces pratiques ne viendra que de la partie de la population française qui est sensible à ces problématiques, parce qu’elle est originaire d’Afrique et que bien souvent elle y maintien des attaches. Il n’y a pas grand-chose à attendre ni des politiques, ni des médias. Ils ne peuvent initier une réflexion qui peut faire ressortir leurs insuffisances ou leurs mensonges. D’autant plus que le débat débouchera, sans nul doute possible, sur la mise en lumière de leur trahison des principes républicains et humanistes (principes plus souvent observables dans les propos que dans les actes des responsables en charge de mener les politiques en direction de l’Afrique).
Vérité d'hier, d'aujourd'hui et demain?
Et pourtant, le changement du modèle qui définit les rapports France-Afrique, ce que nous appelons le paradigme gaullien françafricain, est un impératif. La France et les français ne peuvent plus maintenir leurs avantages et leur rang en usant du triptyque, Pillage-Mensonge-Violence mis en place par Foccart à la demande de De Gaulle et perpétué par tous les présidents de la Vème République. Triptyque auquel Nicolas Sarkozy a rajouté une touche de vulgarité et d’obscénité. La pornographie de la politique que nous pouvions déceler dans les propos qu’il avait tenus à Bamako, il l’a revendiquée dans son discours tenu à Dakar, annonciateur de son interventionnisme colonial. Il l’a magnifiée en se rendant à Yamoussoukro pour l’investiture du nouveau David Dacko, Alassane Ouattara, dernier préfet-sident en date installé au pouvoir par l’armée française.
Dans un discours qui n’a véritablement été commenté par aucun média français, qui n’a été condamné par aucun responsable politique, il a affirmé que l’armée française restera toujours en Côte d’Ivoire.
Quand nous expliquera-t-il que la Force Licorne coûte 500 millions d’euros par an, lui qui se veut le champion de la diminution des dépenses publiques ?
Expliquera-t-il à ses concitoyens pourquoi l’état français, qui n’a nul besoin de l’Afrique, y va gaillardement bombarder des civils et se salir les mains en soutenant des criminels de guerre ?
Expliquera-t-il que c’est simplement parce que la France pille l’Afrique ?
Rendra-t-il intelligible que les immigrés qu’il poursuit de sa vindicte et qu’il veut à tout prix renvoyer chez eux ne sont en France que parce que cette dernière leur ôte, pour bonne part, le pain de la bouche ? Que la France soutient et arme les dictateurs qui briment ces mêmes africains ?
Qu’elle soutient et arme les rebelles qui vont chasser du pouvoir ces dictateurs qu’elle hier a soutenus et qui aujourd’hui ne lui plaisent plus ? Va-t-il expliquer aux français que ce sont ses amis qui bénéficient de façon éhontée de cette politique de rapine, de violence et de dissimulation ?
Que c’est ainsi depuis De Gaulle, et que c’est le prix de la « grandeur » de la France ?
Nous en doutons fortement...
Comme une évidence…
Pourtant la fin du paradigme gaullien françafricain doit, et sera évoqué lors de la campagne présidentielle et par tous les candidats, ce n’est pas une question de forme mais de fond. La France aujourd’hui est différente, elle ne peut donc plus, au nom de principes nobles mais dévoyés par des hommes sans moralité, continuer de se bâtir sur des monceaux de cadavres et au prix du retard de tout un continent. La fin du paradigme gaullien françafricain ne découlera pas d’une volonté politique, mais bien d’une volonté populaire. La demande d’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur l’intervention de la force Licorne est une des étapes de la volonté citoyenne tendant à cet objectif (4).
En parallèle seront prises initiatives similaires visant à faire figurer cette problématique en bonne place lors du débat politique qui s’annonce.
Cette Afrique qui nous fait vomir...
Nul modèle n’est immuable, comme tout cadre intellectuel, il peut être amené à évoluer, voire disparaître. Tout porte à croire que le paradigme gaullien françafricain vit ses derniers moments. Nous devons et allons-nous mobiliser pour l’accompagner dans la tombe, mais au préalable doit être défini le cadre dans lequel évolueront les relations futures de la France et de l’Afrique. Un cadre diamétralement opposé à cette vision gaullienne faisant la part belle à une hégémonie et à un lien vassalique à l’avantage exclusif de la France.
Pour ce faire, les États et Peuples d’Afrique, secondés en cela par leurs diasporas, doivent œuvrer de concert pour abattre ce que nous nommons les murs de la honte et de la soumission.
Ils sont au nombre de trois :
- Les accords de défense, nés des indépendances de principe octroyées par la France, conçus pour maîtriser les populations autochtones et garantir la sécurité de despotes nègres, laquais de l’ancienne métropole.
- L’abandon de cette monnaie de singe que constitue le franc CFA. La France n’a pas vocation à être la tutrice des économies africaines ! La mauvaise tenue de ses comptes publics devrait amener les décideurs africains à se désolidariser de ce bateau ivre …
- La cession sans réelle contrepartie des richesses du sol et sous-sol des États d’Afrique noire doit impérativement être revue. Nationalisation est un gros mot uniquement pour le spoliateur, c’est au contraire une déclaration d’amour impérative que doit faire à son peuple tout responsable politique africain qui se respecte.
Il est plus qu’évident que ce système qui maintient depuis des décennies tant de femmes et d’hommes dans l’étau et obère toute possibilité de développement et d’épanouissement n’a d’autre vocation que d’être fondamentalement combattu, repensé et bien évidemment remplacé. Cet objectif est aujourd’hui, au regard de la dramatique résolution de la crise ivoirienne, la priorité de tout africain, et par extension, des hommes et des femmes expatriés ou déracinés qui portent en eux l’amour de ce noble continent, berceau de notre humanité et laissé depuis trop longtemps en pâture aux chiens …
(1) Lors d’un voyage à Bamako en 2006, le candidat Sarkozy avait gratifié ses hôtes maliens de cette déclaration d’une rare élégance et d’une grande diplomatie …
(2) En décembre dernier, sur le plateau de l’émission C dans l’air de M. Yves Calvi (Talk-show politique de la 5), M. Boniface se permit de proposer Didier Drogba comme troisième homme susceptible d’unifier la Côte d’Ivoire. Zidane réglant la contestation née de la réforme du régime des retraites est une idée ne pouvant germer que dans l’esprit d’un fou ou incompétent, à plus forte raison celle d’un homme ne faisant pas l’unanimité dans un vestiaire d’équipe de football, mis à la tête d’un état au bord de la guerre civile … Le souvenir des mines effarées des trois autres intervenants (M. Keumayou Directeur de l’information de la chaîne Télésud, M. Dogui homme d’affaire ivoirien et M. Glaser fondateur de la Lettre du Continent), ne lasse pas de nous faire sourire…
(3) Se référer, pour plus de détails, à l’excellente monographie de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tsatsitsa, Kamerun, paru aux éditions La Découverte en novembre 2010. A ce jour, ouvrage le plus abouti portant sur l’histoire de la décolonisation de l’Afrique noire en général et de la guerre d’indépendance du Cameroun en particulier …
In Le Nouveau courrier
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